vendredi 29 février 2008

Isola de Vincent Pinckaers, Film 35 MM, durée 16 mn.

Claudio Montale, géologue réputé qui travaille à Messine, en Sicile, doit remettre un rapport sur la stabilité sismique de la région en vue de la construction d’un pont qui relirait l’île au reste de l’Italie. Sa décision risque d’avoir des conséquences décisives: des enjeux politiques et personnels se cachent derrière son geste…

jeudi 21 février 2008

JE T'AIME, JE T'AIME d'Alain Resnais, France, 35 MM, Coul, Durée : 1h 31min. 1968

« Alors que la science permet d’envoyer une souris pendant une minute dans son passé, le moment est venu d’étendre l’expérience à l’homme.
Un écrivain qui a réchappé d’une tentative de suicide accepte d’étrenner la machine à remonter le temps »

Muriel, mettait en scène une ville schizophrène, éclatée, parcellaire comme l’était Boulogne sur mer en 1963.
« Je t’aime, je t’aime ». ressemble à un rêve de déjanté ou un poème surréaliste.
Hier soir, nous avons vu ce film étrange.
Ce Resnais oublié, abandonné comme une voiture à la ferraille nous a tout à tour, surpris, étonné, irrité et ému.
Pourtant, nous y avons visionné un somptueux rêve neurasthénique, rêve syncopé, agité de soubresauts, de saccades constituant une des rares formes d’interrogations actualisant les images de nos vies routinières, nos quotidiens monotones..
D’ailleurs,«Je t’aime, je t’aime » écrit en collaboration avec l’écrivain de science fiction, Jacques Sternberg-rompu aux formes brèves, ressemble à aucun autre film.
Ses origines belges ont profondément nourri, alimenté ce film de ces interrogations sur ce pays tissé de paradoxes.
A quoi ressemble ce film ?
A vrai dire, on dirait un film d’anticipation- quelque chose de l’ordre des récits de Van Vogt ou de Bradbury ou de Frédéric Brown, mais finalement l’histoire compte moins que la mise en exergue d’un processus d’assemblage et de montage, de réflexion sur l’image, et la mémoire qu’elle articule, et éclaire.
La mémoire maitre mot et fil conducteur de toute l’œuvre d’Alain Resnais.
Au fond, on peut penser à Vertov qui dans « L’homme à la caméra » jouait avec le temps, le manipulait à sa guise. Pensons à la séquence de la monteuse qui joue avec le temps du film dans sa salle, qui arrête l’image de ses baigneurs, ou l’image de cette paysanne souriante puis reprend son mouvement et l’indicible flux du temps.
Processus d’une rare complexité aussi ténu que dense, aussi tendu que profond, mettant en jeu les soubassements de notre mémoire, la faisant travailler nous désarçonnant souvent.
L’histoire constituée uniquement de temps morts d’une existence banale articule un soupçon de science fiction, de « New age » avant l’heure, (dont témoigne cette grotte aux tons maronnasses beigeasses qui ressemble à un utérus ou à une matrice planté d’étranges gerbes de néons) ou en synchronicité avec les expériences des californiens sur les modifications des perceptions de la conscience par l’usage des hallucinogènes.
Etrange film dont cette matrice reçoit puis accouche des géniales élucubrations, extrapolations de Resnais sur les virtualités, les potentialités du montage, et des effets Koulechov, des raccords improbables, qui nous propose un voyage incroyable pour ne pas dire nauséeux dans le temps et l’espace, agité par des déphasages permanents qui nous place dans la position d’un spectateur toujours aux aguets qui tente de faire son film, de le refaire, de reconstituer tous ses fragments épars, et dont la propre mémoire péniblement s’efforce de rassembler les sources, d’échelonner ces pans de récit afin de restituer une forme de chronologie rassurante, loin de cette mémoire manipulée, chaotique et confuse.
Finalement, à bien des égards, « Je t’aime, Je t’aime » au même titre que le fulgurant Muriel représente un point d’orgue dans le cinéma d’auteur dans les modalités d’organisation d’un récit, mais forme aussi un point de non retour ; révélation ,exacerbation des tendances à l’expérimentation formelle commune au cinéma des années soixante, qui aimait présenter, confronter dans une même séquence passé et présent ,expérimentation qui n’est jamais réapparue dès lors, et c’est sans doute dommage.
La faute en incombe t-elle seulement aux producteurs et aux distributeurs devenus aujourd’hui si frileux, ou le public se serait-il lassé de ces inventions parfois artificielles ou trop formelles ?
Rien n’est sur.
Cependant,l comme toujours, celle-ci ont été absorbées, intégrées, socialisés par les téléfilms qui distillé ces inventions au point de les intégrer à leur structure scénaristique, à leur bible, à leur mode d’exposition de leur personnage
Toutefois, souvent américains ceux-ci ont plus souvent recours aux modes du flash-back qui vise à expliquer sur un mode analytique les liens de causalité entre un passé et un présent, comme un recours à la fatalité, qu’à d’autres modes d’exposition, de présentation du récit qui est en germe ici dans ce film.
Gageons que linéarisé, ce film unique perdrait de sa dynamique.
, et aussi l’histoire de cette expérience scientifique qui consiste à renvoyer dans son passé un homme qui a tenté de se suicider après un amour déçu perdrait nettement de son intérêt.
Ce serait un film linéaire.
Peut-être faudrait interroger le contexte d’apparition, les circonstances qui a contribué à l’émergence de cette notion de déconstruction du récit tant dans sa forme littéraire que cinématographique, et l’intrication des deux domaines, car souvent un style, ou une création définit une époque, et une époque définit une création, mais c’est une autre histoire.
Intéressons-nous plutôt à ce qui forme l’essentiel et l’intérêt crucial de ce film qui nous laisse circonspect et songeur, et nous rend plus conscient de nous-même.
En fait, ce qui semble former la clef de voûte de cette continuité, discontinuité c’est la mise en exergue des temps morts d’une vie, intention artistique et d’écriture qu’avait formulé l’écrivain de Science fiction Sternberg , (qui a écrit pas pour ce film pas moins de 500 fragments de petites scènes que Resnais a ou non choisies et élues, selon quels critères, nous ne le saurons jamais) c’est aussi la mise en exergue des rapports imprévisibles entre des scènes éclatées, dispersées dont nous ne percevons que les collages, les surfaces de contact, les rapprochements, les chocs des sons et des voix parfois douces, parfois criaillantes.
Une scène très drôle, une des premières, filmées en Méditerranée nous montre Claude Ridder joué donc par Claude Rich, un peu maigrelet, sortant de l’eau à sept ou huit reprise, - la scène est rééitérée jusqu’à épuisement, tirant celle-ci jusqu’à la dérision, forçant au comique de répétition, avec son masque sur le nez, et répondant à la question banale de sa compagne : « Alors tu as pêché quelque chose » , et lui de répondre la rejoignant « oui j’ai eu des araignées de mer et quelques crabes », et puis au fil des répétitions le récit devient de plus en plus incohérent.
Tout cela, tout ce désordre pourtant savamment pensé, élaboré crée un trouble profond en nous, car toujours et encore telles les petites souris de laboratoire, nous tentons de recomposer, de formuler une idée de récit, de reformuler dans un ordre chronologique les pans de la biographie de Claude Ridder, regroupant seize ans d’une existence inintéressante, parce que banale ; existence aussi instable que vélléitaire.
Considérons aussi que « je t’aime, je t’aime » scandé par cette musique inquiétante de Pederencki, marqué par ce rouge qui apparaît en tache, en signes tout au long du récit depuis le générique jusqu’aux couvres-lit, et aux taches du suicidé est un film d’une rare incongruité qui imprime au spectateur une forme de désespérance.
La belgitude
Il est une autre originalité dans ce projet artistique employant un écrivain Belge tel que Sternberg, qui est de montrer au cinéma la complexité de la Belgique, son contexte artistique, ses paysages et ses intérieurs souvent mochards, mais ce sont les choix de Resnais qui ont incliné vers ce versant.
Exposant subtilement, d’une part les antagonismes d’une Belgique schizophrène, partagée entre deux communautés, atteinte en son cœur par les soubresauts d’une occupation allemande mal digérée, et minée par la politique de compromission avec l’ennemi, et tendant d’autre part à rendre hommage à la belgitude et au surréalisme belge, auquel on peut associer les figures de Jean Ray, l’auteur de Dick Tracy, Marien, ou Delvaux.
Cela est visible dans les inscriptions bi -lingues qui apparaissent sur le linteau de cet étrange hôpital qui ressemble à une sorte d’usine peinte de blanc et violemment éclairée, cela aussi est perceptible dans la rigidité gutturale de cette langue flamande parlée par ces techniciens médecins aux impeccables blouses blanches qui apparemment épouvantait Sternberg.
Cela est perceptible, dans ces scènes extérieures montrant des plages d’Ostende, montrant des villes comme Louvain ou Bruxelles, et leurs ramifications complexes sillonnées par les tramways jaunâtres, par des voitures jaunâtres, puis dans les intérieurs présentant deux hôpitaux massifs, blancs, visiblement ripolinés de frais qui ressemblent beaucoup aux mystérieuses architecture de Delvaux, éclairés par cette lumière douce et pleurante, (ou au contraire crépusculaire chez Delvaux) sur les galons jaunâtres eux aussi, sur les murs blancs, sur les reliefs géométriques et sur les corps.
A cet égard, cette scène ou Claude Ridder s’inscrit en marchant lentement dans le cadre que forme ces couloirs plafonné de portique de béton, dans le point de mire d’une perspective rigide, dans d’interminables dédales s’apparente un peu à du Delvaux ou à ce lointain parent italien Chirico.
Parallèlement à ces hommages ou emprunts, il en est d’autres qui rappellent à nous les anticipations des comics que lisait Resnais et dont il s’est fatalement souvenu : « le voyage dans une pièce de monnaie », quand par exemple Brick Bradford revenait subitement et avant l’heure de son aventure avant que les scientifiques n’aient quitté le laboratoire.
Certains autres citeraient Twice Alice.
Ce film nous imprègne de son étrange sensorialité qui met tous nos sens en éveil : l’aspect tactile et mou de cette grotte, matrice qui accueille le corps de cet homme devenu sujet d’expérimentation, les saccades perpétuelles tout droit sorties d’un cauchemar de ces scènes discontinues, s’étalant, se répétant tels des colonnades à perte de vue.
Cependant, force est de constater que ce film n’agit pas comme un bon lénifiant mais qu’il nous éprouve à chaque seconde, éprouve notre réactivité, cet ébranlement est heureusement pondéré par un humour sous –jacent qui fait mentir le sens des images et nous détache de leur impeccable lissé.
Le jeu constant sur les mots, sur les situations, sur une sorte nouveau langage qui rejoint les formulations d’Adamov( délaissées aujourd’hui par le théâtre contemporain qui a privilégié Becket et Ionesco) sur les possibilités de moduler un récit à sa guise.
Ah, le monteur à sa table qui joue et assemble toutes ces images…
D’autre part, si ce film ne nous procure aucun espoir, c’est aussi à cause ou plutôt par la présence de cette actrice qui nous semble ailleurs sans cesse : Olga Georges Picot dont nous connaissons le triste dessein, dont les lignes de fuite du regard nébuleux, dont le visage formant une sorte de masque impénétrable, dont les gestes violents nous glacent.
De même, l’histoire de cet homme suicidé ne nous force pas à nous identifier à cette histoire mais nous en éloigne plutôt, comme nous en éloigne cette apparition d’un médecin déguisé en un étrange animal à la tête vert émeraude.
Ce film singulier, aussi beau que difficile à regarder nous incite enfin à penser que des films aussi magnifiques qu’intelligents comme « Providence « et « Mon oncle d’Amérique » ne sont pas nés de nulle part, que d’autres expériences les ont précédées.
A cet égard, » je t’aime je t’aime » par ses aspects cliniques, désensiblisés, par ces réitérations de récit et de scènes banales de bonheur et de désespoirs, de scénette de travail, ici on assiste à la progression, à l’ascension sociale d’un commis de libraire ? par ces inventions, par ces permutations nous interroge aussi sur nos propres névroses, sur nos temporalités inachevées, décalées sur les temps différés de nos consciences, mais plus que nul autre, c’est un objet précieux qui nous documente sur une époque révolue ; espèce de récit biographique sinueux, complexe, un de premiers récits aléatoire, dispersé, parent de la Jetée qui anticipait de par sa nature hétérogène, de par son contenu sur les modalités de construire un récit, sur les navigations hypermédias qui insensiblement mais sûrement ont modifié, puis façonné nos schèmes de perception, nos rapports à autrui, la manière de façonner nos images dans notre tête.
A cet égard, l’archivage thématique, nominaliste de petits fragments de vidéos que tout un chacun regarde, indexé sur le verbe et non sur des typologies l’image ; archivage sur You tube ou Daily Motion reflète l’influence ces nouveaux modes de pensée qu’a projeté à son époque ce film déconcertant.

lundi 11 février 2008

HOTEL, de Jessica Hausner, 35 MM, COULEUR,82 mn, 2004, Autriche.

Thomas Bernard avait coutume de décrire dans ses diatribes la vie des grands hôtels viennois et des petites auberges insalubres du Waldviertel tenus par des alcooliques ou par des gens mielleux qui ont souvent fait le lit du nazisme.
Ancienne assistante de Michael Hanneke sur l’effroyable et un peu gratuit Funny Games, Jessica Hausner s’emploie aujourd’hui à décrire ce microcosme, cet univers si paisible en apparence tout en affleurant aux marges du fantastique.
Majestueux paradoxe.
Pourtant, analyser ce film c’est d’abord s’attarder sur les apparences et le décor et l’histoire qu’il campe : l’histoire d’une jeune hôtesse d’accueil qui surgit dans un hôtel perché sur un flanc de montagne, au moment même ou des enquêteurs recherche celle qui l’a précédée et qui a mystérieusement disparu : une certaine Eva Stein.
Il y a d’abord ces apparences mais c’est sans doute dans son invisible : présence d’un point de vue d’un intrus qui fait irruption, ouvre une brèche de manière subreptice dans la réalité diégétique : est ce seulement le regard du spectateur qui est partie prenante dans ce dispositif ?
J’ai pensé à deux choses en voyant ce film : ce film est une sorte de tableau abstrait, ou une métaphore du fondu au noir.
Apparition de la serveuse ouverture au noir. Disparition de la serveuse de son plan dimensionnel que renforcent la verticalité de ces étranges pins taillés tels des poteaux téléphoniques : fondu au noir.
La leçon de modernité donnée par ce film tient en trois points : Le choix du décor, la bande sonore, la mise en forme du récit par une raréfaction des points de vue dans une relative économie de moyen.
Le choix du décor : il s’agit d’un hôtel qui ressemble à tous les hôtels du monde, rien ne le distingue des autres, même fonctionnalité, même commodités mêmes couloirs, mêmes portes.
Depuis les années 30, qui conféraient au décor une place équivalente, pour ne pas dire supérieure à celles des comédiens, il est courant d’associer à l’hôtel une idée de cinéma, ou de théâtre (le passage et le flux des visiteurs entraînant nécessairement dialogues, dynamique et situation) et oser relever le défi de revivifier cette thématique demandait une certaine dose de perspicacité et d’invention.
En tout et pour tout dans le film, nous ne verrons qu’une cave et son long couloir éclairés au néon, un guichet d’accueil, un couloir de passage à la gauche duquel s’impose une fenêtre qui donne sur une piscine, une chambre, une discothèque, une piste de danse et quelques extérieurs.
L’espace semble avoir été vidé de tout élément superfétatoire : peu de tableaux, peu de tapis, peu d’accessoires, pour céder la place à l’installation d’une émotion : un parfum d’étrange et de fantastique qui n’est pas sans rappeler le travail de Jacques Tourneur, même si ici d’étranges plans d’inserts rendent ce récit incongrus, et confinent ce film à une forme d’abstraction et interroge les signes de la modernité : nature morte d’un stylo bille sur un calepin, interrupteur, signaux, quand Tourneur, lui faisait appel aux ressources du hors champ pour terrifier le spectateur.
Une parfaite unité de lieu où se noue une sorte de faux drame dont nous semblons être les protagonistes.
La bande sonore intègre des dialogues plats et factuels qui rendent compte des échanges entre la direction et le personnel mais leurs tons et lenteurs factices, neutralité influent sur notre perception du récit fictionnel, ou du moins confèrent eux aussi l’ensemble des images à une forme d’ abstraction.
Comme une forme de récit qui semble parfois post-synchronisé, comme si la bande son ne collait pas exactement avec la réalité des images, et en faisait mentir l’aspect documentaire ou plutôt faussement réaliste.
De même, on entendra les tonitruances d’une sirène, les grésillements inquiétants ou plutôt les crachouillis d’un haut-parleur défaillant, accolés à des pans de musique techno, et techno folklorique ou aux pulsations d’une soufflerie.
Cette construction sonore, cette partition, ou les dialogues semblent être réduits à leur stricte fonctionnalité : aspect d’information : « Bienvenue à l’hôtel des pins », « Plaintes et jérémiades pour un vol d’un petit bijou entre des employés, organisation d’une fête aux jeux de lumière automatisés à destination de retraités, où s’affirme la mécanicité » humaine » des technologies suscite en nous un profond trouble, comme un renversement de l’ordre établi, tel le triomphe des objets sur l’animé et le vivant.
La raréfaction des points de vue contribue aussi au climat d’angoisse généré par ce film.
Que voyons-nous constamment à l’écran ? Que peut-on en déduire ?
Il s’agit peu ou prou d’une présentation sur l’écran de la longue journée d’une jeune serveuse aux gestes raides, tandis que sa silhouette gracile s’inscrit continûment, journellement, dans le point de mire des perspectives infinies des couloirs qu’elle arpente ou dans laquelle elle s’ancre.
Dans le cours de l’action, Il y a bien sûr quelques rencontres de poids : celle avec son ami, celle avec sa jeune collègue de boulot, et les discussions qui se tissent avec sa patronne et le patron, mais l’ensemble des points de vue du film semble se focaliser autour et depuis le regard de la jeune femme jouée par Franziska Weisse.
Cependant, il arrive qu’un point de vue extérieur à ce point de vue, à cette circularité générés par cette unité de lieu et cette focalisation sur le personnage principal, sur son regard qui semble souvent se, nous promener tel un hamster dans sa roue, répétant les mêmes gestes, les mêmes activités nous éclaire et nous entraîne aux lisières du fantastique.
Nous avons vu cette première approche de l’analyse, mais une problématique ou un questionnement plus complexe semble lui être sous-jacente, c’est la manière dont la sexualité est évoquée ou suggérée au spectateur.
Nous avons d’abord des plans de nudité vus de dos, plan à la fois voyeurs mais en fait aussi furtif que pudique sur la jeune fille qui se déshabille,puis, qui nage en déployant toute son énergie, mais c’est un champ contrechamp qui nous éclaire sur les visées de la réalisatrice.
Champ- contre-plongée : La jeune femme vêtue d’une croix et d’une chemise bleue bien repassée, jeune fille parangon de la bonne petite catholique qui porte d’ailleurs sa petite croix autour de son cou, et contrechamp, on voit sa main qui consulte un prospectus montrant une fameuse grotte, célèbre grotte des environs dont, nous spectateur nous ne percevons que la stricte béance, une sorte de trou noir, évocateur d’une autre béance…
L’effet et l’association de ces deux plans est aussi simple que saisissant, et bien plus subtil que la scène de caresses intimes dans l’automobile, entre le jeune homme conduisant et son amie qu’il doit ramener à son hôtel.
Néanmoins elle érotise, dynamise un récit en lui apportant un peu de piment.
Après tout, c’est le bois dont le spectateur se chauffe.
Ce champs contrechamps annonce la visite de la grotte, dans laquelle la jeune fille s’infiltrera au point de disparaître temporairement de l’écran, et surtout la scène finale qui verra cette jeune fille disparaître littéralement et physiquement de l’écran se confondant avec l’alignement des pins éclairés de manière blafarde, industrielle, et sinistre.
Surprise de taille.
Nous comprendrons par un échange qui paraît être la duplication de la scène d’exposition que la jeune fille qui possède la même morphologie et sensiblement les mêmes traits n’est autre que la réplique exacte de celle qui vient de disparaître.
Répétition du parangon.
La boucle est bouclée.
Seule ponctuation, ironique à ce récit cette petite musique guillerette nous détache de ce cauchemar où pourtant, rien ne s’est vraiment passé ni d’horrifiant ou de ténébreux.
C’est bien à nos sens, à notre cerveau reptilien, et notre goût de l’angoisse, à nos peurs primaires que la réalisatrice a fait appel plus qu’à d’autres artifices.
Toutefois, la réalisatrice s’est brillamment affranchie des contraintes qu’elles s’étaient posées et a réalisé un film singulier, intriguant et dérangeant parce qu’il suscite autant de répulsions que d’attirance : fascination pour ce décor qui s’apparente à un archétype d’hôtel, avec ces longs couloirs, ces escaliers, ces lumières artificielles et réflexion sur le cinéma quand il prend pour objet de filmage cette figure humaine menacée de dissolution, d’absorption.

vendredi 8 février 2008

DIALOGUE POUR DEUX FRELONS, de Jocelyn Le Creurer , 18', 16MM Couleur, 2003.


Film produit avec le concours du Fresnoy, studio national,
remerciements spéciaux au National Trust ( Grande Bretagne, Prior Park, Bath)

Présenter son propre film et vouloir témoigner de son processus n’est pas si évident d’abord parce que le rapport de proximité et d’affection à l’objet réalisé créé biaise quelque peu les perspectives et l’appréhension de notre analyse.
Cependant, il est possible de distinguer deux particularités dans ce film qui a porté mon désir de cinéma.
Dialogue pour deux frelons est un drame intimiste ( Dans le registre du Kammerspiel ou théâtre de chambre) résolument contemporain, basé d’une part sur le choix de la topographie d’un lieu clef de l’Angleterre, Prior Park à Bath, entre Bristol et Cardiff. qui forme le décor et agit telle la surface de projection des rêves du personnages principal, et s’appuie d’autre part sur la prestation de deux acteurs d’exception LOU CASTEL, et NATALIE ROYER dont l’affrontement tacite , dialogué ou monologué est suggéré plus que montré.
Evidemment le sujet peut déconcerter : l’histoire d’un homme de soixante dix ans ayant étudié toute sa vie l’œuvre de Williams Chambers ( 1724-1794), père de l’architecture paysagère anglaise qui se querelle avec sa jeune compagne alors qu’il n’en a plus que pour quelques mois à vivre.
Mais le traitement et la mise en scène, l’écart et l’échange entre deux types d’images des extérieurs oniriques et des intérieurs vides et blancs, visent non pas à égarer l’entendement mais à construire des distances révélant l’emprisonnement narratif des fictions et des images.
Effet de surprise. Ce paysage étrange et mirifique qui apparaît dès le début du film apparaît (tel que j’avais pu l’envisager et souhaité dès mon projet initial) , c'est-à-dire comme une sorte de tissus ou de voile condensant, catalysant les rêves et les désirs de cet homme ; apaisante pause où le temps ne semble plus avoir cours, mais où l’espace triomphe : pure sensation spatiale redoublée par la reprise d’un panoramique à 360 degrés.
Ensuite, l’essentiel réside surtout dans ces rapports entre ces deux personnages aussi ambigu que névrotique, tendu entre des silences qui creusent le film d’un malaise profond, un monologue qui éclaire et densifie une séquence déjà angoissante, et une post-synchronisation qui déréalise les images.
Dans Dialogue pour deux frelons, la psychologie n’a aucune part, ce sont les comportements qui priment ; au cours du tournage, il s’agissait d’obtenir des dissonances en combinant plusieurs éléments, dont le choc allait provoquer entre eux une infinité de rapports : les décors, et les dialogues, les situations et les comportements, les sons et les couleurs, les intertitres et la poésie anglaise.
Plastiquement, ce film vaut aussi qu’on s’y arrête, la qualité des couleurs, leur juxtaposition ne visent pas à quelque recherche d’une picturalité -qui dessert un film plus souvent qu’il ne le sert, mais à des disséminations signifiantes de taches de couleur dans un espace qui informent le spectateur d’une réalité et du vécu, de la biographie du héros principal : Charles Gambler.
De même, le décor d’une réserve d’un musée de beaux-arts constituée de socles renvoie aux
soubassements de sa pratique architecturale qui vise à une forme de monumentalisation.
Force est de considérer que la plupart de ces signes qui ont été trouvés sont le fruit du hasard, non pas dans une forme de préméditation mais dans une forme d’écoute attentive au sujet, comme si le propos avait trouvé là sa nécessité, confronté à des contraintes fortes, à une forme de non-savoir et inventant sans cesse, multipliant les bonnes cartes sorties du jeu de Charles Gambler ou du travail d’écriture préalable.
On peut même affirmer que c’est dans son éclatement, dans son hétérogénéité, dans sa recherche plastique et textuelle, dans cette volonté de rompre avec les affirmations péremptoires des règles techniques immuables qui rendent le cinéma désormais si figé ( Alternance des Champ, contre-champ, volonté d’une continuité, d’une linéarité)que Dialogue pour deux frelons s’affirme comme un objet autonome et plastique et s’inscrit comme un jalon prometteur dans des recherches filmiques à venir.

samedi 2 février 2008

ROOM CONVERSATION , DORA GARCIA , VIDEO PAL. 31'

Montrée dans le cadre des présentations des nouvelles acquisitions du Plateau ( Frac Ile de France), une vidéo sort du lot, non par la débauche des moyens ou des effets déployés, mais par son originalité et les questionnement féconds qu’elle génère, dans la continuité de la pensée de Foucault dans « Surveiller Punir », qui témoignait de l’influence des technologies de surveillance sur le corps.
Cette vidéo intégrée dans une œuvre, sorte de cube d’acier poli et de verre, oeuvre de Laurent Grasso qui la contient, s’apparente à une tentative d’investigation du réel par le biais de deux modalités, d’une part la vidéo Dv qui présente et assemble des plans d’ intérieurs et d’extérieurs, d’autre part, une forme de récit à tonalité théâtrale ou alternent sur des images noires sous-titrées un monologue puis la voix posée d’une femme, puis la voix d’un homme l’interrogeant ; voix dont la gravité, le timbre fait figure d’autorité,( comme n’importe quelle voix off dans une publicité).
Plus tard coïncidant avec leur apparition , un dialogue et une action se noueront entre eux dans la pièce d’un appartement meublé de manière fruste : un canapé d’un vert cru à rayures et un fauteuil de la même couleur avec des rayures, une table de plastique.
Le tout imite peut-être le style de mobilier produit autrefois en Allemagne de l’est ( C’est ce que semble indiquer la mention répétée WSB porté par le commentateur dans son discours qui refléter un mode de mobilier standard en vigueur à cette époque).
Si nous évoquons ce contexte, c’est qu’il n’est fait nulle part mention par quelque carton que ce soit ou indication de la localisation des prises de vue et des lieux de tournage, et que ce choix nous déroute, mais très rapidement, rien qu’à l’aspect monosyllabique des deux voix allemande, à quelques mots prononcés qui nous sont familiers, il nous est facile de comprendre que cette pièce a trait à l’histoire allemande elle-même. D’ailleurs, la configuration des bâtiments filmés, leur mode de construction, le site de cette construction proprement dit, nous apprennent plus que n’importe quel discours ou dialogue échangé.
Ce que nous voyons, de prime abord ce sont des bâtiments de béton qui ressemblent à tout ce qui s’est construit dans les années 60 ou soixante dix ,sous forme de plan en plongée, soit sous la forme de plan moyens.
Tout le reste, et l’ensemble de la vidéo après une suite de vues extérieures se joue dans un intérieur éclairé par la lumière du jour qui pénètre par fenêtre venant de face. Vidéo dans laquelle ou sur laquelle un commentateur dont la voix semble faire office de discours dominant, surplombe celle de deux acteurs qui jouent une pièce devant une caméra posée devant eux en un plan fixe immuable qui assure par sa fixité une sorte de stabilité dans le récit, et la surplombe au point de décrire avec une minutie clinique l’ensemble des objets et des corps présents dans cette pièce banale.
Cette description minutieuse semble vouloir adhérer totalement à l’objet de sa description au point de la vider de toute sa substance et de la transformer en un objet abstrait, comme une sorte de figure d’un discours, comme une tentative d’exhaustivité d’un lieu.
Ces problématiques rejoignent celles déployées par Pérec dès les années 60, enrichies par le travail dramaturgique de Philippe Myniana..
Plus tard, entre les deux protagonistes s’instaurera une conversation ou l’une informera l’autre d’une réalité cachée et mystérieuse.
Quels secrets se cachent derrière ces mots à double entente qui sont prononcés ?
Si l’on analyse la mise en scène,les acteurs semblent avoir été entraînés au préalable à jouer avec les bords du cadre, ou à penser leur présence de dos ou de face.
Force est de constater que le dispositif mis en place ne semble pas avoir été pensé à la légère et qu’une sorte de contrainte y est constamment à l’œuvre tant dans la place octroyée aux acteurs,que dans leur déplacements, ingénieuse chorégraphie, que dans le texte qu’ils semblent réciter .
Acteurs qui font acte de présence comme dans une espèce de réunion et par les questionnements incessants, allusifs et intrusifs qui forment l’essentiel de l’action de la séquence principale et qui installe cette atmosphère un peu nauséeuse et délétère.
Cette atmosphère crée ou recrée est censée reproduire les réunions qu’entretenaient les agents de la Stasi dans l’ex Allemagne de l’est, dans des immeubles similaires, dans des pièces similaires.
Avec des moyens minimaux, avec une image simple alternant vue d’extérieurs et d’ intérieurs, Room Conversation élabore une description critique de situations historique et reflète le climat de surveillance et d’inquiétude qui a eu cours pendant de longues années en Allemagne de l’est.
Cependant, difficile de réduire cet objet réflexif et captivant à sa simple question historique, peut-être faut-il y voir une mise en abyme des questions passées avec nos problématiques contemporaines qui interrogent la confrontation de la rhétorique visuelle de l’architecture réduites à des signes proliférant dans un espace avec les figures de la rhétorique verbale, jusqu’à l’inflation et à la saturation.
Vases communicants.

BANDE À PART (1964), 35 MM. 97'.FRANCE

Bande à part consacre une déception.
Bande à part au même titre qu’une Femme mariée, ou une femme est une femme, ou le plat « One plus One consacré » aux Rolling Stone ressemble à un raté dans la filmographie de Godard.
Pourtant celui-ci commence tambour battant, on peut même y déceler une formidable énergie.
Energie qu’il y à montrer la ville, tantôt en plongée, puis en plan rapproché à hauteur d’homme, ses flux d’automobiles, le bruit des moteurs associé un noir et blanc, qui documente plus qu’il ne stylise et efface, élimine certains détails et nous présente cette automobile Ford et ses protagonistes fonçant droit vers de nouvelles aventures.
Energie de cette action qui démarre pour finir par tourner en rond et un peu à plat.
Qu’aurait-il fallu de plus pour que cette énergie transite en nous de manière plus durable et plus saisissante ?
Le problème ne relève peut-être pas de la bande son, toujours aussi riche et inventive, surprenante, avec ces éclats, fragments disséminés et savamment posés : bruits de radios, voix récitant ou jouant, petite voix étrangère.
On reconnaît un film de Godard à sa bande son.
C’est une des marques de fabrique de Godard depuis A bout de Souffle.
Mais Bande à Part pêche par sa mise en scène foutraque et désinvolte.
Ce n’est pas que les acteurs : Brasseur et Samy Frey soient plus mauvais les uns que les autres, mais à partir des séquences de marivaudage amoureux du cours Louis, l’action stagne définitivement, et même si un comique de gestes, de situations, de scènes répétées, de regards rythme, agrémente l’argument d’un peu de vivant.
Devant cet ensemble sans cesse en mouvement mais pourtant si figé, dans son intrigue, dans son absence de dynamique dramaturgique, de direction et d’orientation ou d’axe.
Le spectateur reste un peu sur sa fin, et a sans cesse l’impression de ne pas y trouver ce qu’il cherche chez Godard : une conception d’ensemble suffisamment étayée par des blocs aussi solides que des galets, une poésie à l’ épreuve de l’érosion du temps.
Bien sûr, il y a des trouvailles formidables : la musique de Michel Legrand qui ne ressemble pas à du Michel Legrand, les faux raccords sur les regards de chacun rappelant la séquence du générique qui entremêle vertigineusement les trois regards, comme une sorte de prémisse qui annonce les expériences clignotantes de sa période de vidéo expérimentale à Grenoble, cette visite express du Louvre, la minute de silence dans une séquence, où cette scène ou Chantal Goya contretype, contrefait une image stéréotypée de la beauté et de la jeunesse, imprimée sur le coin gauche d’ un journal devant une glace de toilettes, cette bagarre elle aussi parodiant la chorégraphie d’ une bagarre, la mort d’Arthur qui ne meurt pas et tue le possesseur du magot, et cette fin tournée à trois francs six sous tournée sans doute à l’arrachée, à l’intérieur d’un cargo et son annonce tonitruante qui rappelle un générique des Pieds nickelés.
Mais l’ensemble tourne un peu à vide : Anna Karina, dansotte, minaude, et quelque chose cloche dans l’ensemble, peut-être aussi à cause d’un manque évident de moyens : une Ford, une villa, trois comédiens et la rue, ne suffisent peut-être pas ou simplement il manque ici tout ce qui fait un Godard grand cru : une alliance d’idées fortes, saisissantes qui s’imposent à nous telles des fulgurances.