samedi 22 mai 2010

lundi 10 mai 2010

samedi 8 mai 2010

l'HOMME AU PLATEAU

Fabrice vêtu d'un anorak molletonné trop grand pour lui, dépassa un petit groupe de personnes qui marchait rapidement.
Depuis les différentes artères de la ville, d'autres groupes convergeaient puis se
se succédaient par petits chapelets qui disparaissaient en ayant entrouvert une énorme porte à deux battants.
De manière continue, à l’heure du coup de feu, une foule pressée se dirigeait donc vers celle-ci.
Quand Fabrice surgit inopinément et bloqua le passage.
Des gens commencèrent à râler ; Fabrice se tenait devant l'entrée de manière à bloquer toute entrée de visiteurs.
Son front était balayé d'une mèche laquelle balayait elle aussi la moitié d'un œil qu’une bouche soufflante soulevait par intermittences, comme une sorte d’essuie-glace.
Fabrice avait le visage un peu rond, son teint était rouge, son ventre proéminent et gras tombant un peu de son pantalon à cotes de velours.
Cette mise lui conférait l'allure d'un clown et il les regardait avec un air béat, avec ses yeux : deux immenses billes noires plongées dans la liquidité d'une nuit intérieure.
On lui dit de se pousser à plusieurs reprises mais il ne bougeait pas et restait immobile devant les portes vitrées du restaurant d’entreprise, la mâchoire fermée, toujours un peu raide, tenant son plateau repas vide sur son ventre.
Le plateau alimentaire était en plastique et ressemblait à du faux bois.
Depuis le cadre d'une toute petite fenêtre la tête d'une femme se dressa et l'interpella.
- C'est quoi tout ce chambardement, vous ne pouvez pas laisser les employés tranquille? Qu'est ce que vous voulez au juste?
Fabrice ne lui répondit pas et baissa la tête.
"- Qu'est ce que vous voulez ?" répéta, la voix de la femme venue du dessus.
Fabrice la regarda fixement.
Il se tenait là tenant toujours fermement son plateau alimentaire contre son plexus solaire, là devant la dalle de béton depuis onze heures du matin.
On l'entendit bientôt qui hurlait, hurlait encore.
Sa requête paraissait un peu floue.
Au regard de la foule qui se rassembla bientôt autour de lui, il apparut comme un intrus, ou un empêcheur de tourner en rond.
Un homme, puis un autre braquèrent leurs poings sur lui mais comme si une sorte de halo magnétique l’avait protégé; Fabrice échappa, esquiva et repoussa les coups.
Alors derrière lui sortit la dame aux cheveux frisés qui l'avait interpellé et qui poussa la porte très fort, si fort que Fabrice céda un peu du terrain.
Bientôt la porte s'entrouvrit et la dame aux cheveux frisés glissa son long cou comme une girafe.
- Qu'est ce que vous voulez au juste...? redit la Dame.
- C'est ma carte.
- Quelle carte ?
- Ma carte magnétique, elle ne marche plus ou alors elle a été démagnétisée.
Et là, il lui expliqua longuement qu'il avait été autrefois salarié de la SNCF qui offrait à chacun de ses employés le repas de midi- comme dans toute administration française.
La carte avait longtemps servi de précieux sésame.
Inexplicablement, la carte bien qu'ayant dépassé sa date de péremption - ce qu'attestait une date à moitié effacée- avait aussi longtemps délivré à Fabrice son plat du midi jusqu'au jour où....
Ainsi brusquement licencié, on avait naturellement procédé aux mesures d'annulation de son badge magnétique qui autrefois lui donnait droit de passer le portique verrouillé électroniquement, pour aller déjeuner bien tranquillement dans l'immense restaurant de la Société nationale de Chemin de fer, sous la verrière qui dispensait une tiède chaleur qui rayonnait jusque sur le ventre des employés.
Après des tractations compliquées, où l'on envisagea dans un premier d'appeler la police pour évacuer l'importun ou régler définitivement le différent entre un ancien employé et son administration.
Fabrice lâcha bientôt prise et tint son plateau d’une main molle, pendant bientôt le long de son flanc droit.
Apaisé, ayant enfin exprimé toute sa colère, il devint très placide.
Inéluctablement, les regards de la médiatrice et de Fabrice se croisèrent, et insensiblement, sans bruit, tous les deux tombèrent amoureux l’un de l’autre.
Quoi qu’il en soit, même si Fabrice n’obtint jamais gain de cause, il parvint néanmoins à une chose essentielle : il avait trouvé l’amour dans des circonstances uniques exceptionnelles et la dame aux cheveux frisés qui parlait uniquement à sa plante verte elle aussi.
Voila donc une fable qui finit bien.

mardi 4 mai 2010

Portrait d'une femme imaginaire

Elle était vêtue de rose et se déplaçait toujours sur fond jaune, chaussée de chaussures vertes tenant à la main un sac vert lui aussi et marchant à vive allure le long des trottoirs qui eux, étaient invariablement gris mais qui auraient pu être roses.
Une musique accompagnait sa déambulation dans la ville.
Tous les hommes croisant sa route guettaient de sa part un regard, une attention mais elle, imperturbable, poursuivait sa route d'un air dédaigneux - posture exagérée de la coquette, contemplant les vitrines, poursuivait encore ses pérégrinations dans la ville.
Vers où se dirigeait-elle ?
Dans quelle direction ?
Nul ne le sait.
Son chemin était tapissé de musique et de couleurs vives, tranchées, jalonnées d'apparitions d'écrans plasmas qui diffusaient les discours d'hommes politiques pontifiant sur l'avenir du monde.
Elle faisait partie de ces élégantes qui peuplent Paris et qui font et forment, déforment, transforment sa légende.
Celles qui pilotent des Maserati ou des Lotus Esprit.
Un jour, ses vaticinations la menèrent dans les travées d'un grand restaurant où le rouge ou plutôt l'écarlate des rideaux, le sens de l'emphase et de la boursouflure , un esprit grotesque n'avaient pas seulement gagné les cuisines, les tintinnabulantes brigades.
Une tempete régnait et le désordre ainsi qu'une certaine suffisance se répandait dans les esprits.
Le personnel quand à lui préparait les plats, quand la clientèle qui mangeait des plats très élaborés, très compliqués en déployant tous ses sortilèges : gestes trésors d' arrogance et présomption.
On n'oubliait jamais de tout flamber à tort et à travers.
La plupart des ingrédients formant le repas étaient transfigurés par l'usage de l'azote et de l'ozone.
On s'en extasiait de tout ce déballage de technologie au service du palais.
Attablé, notre personnage , empruntait ce chemin de l'emphase et de la suffisance, auquel répondait le plus parfait silence de la moquette qui étouffait la plupart de bruits.
Attablée toujours devant son assiette vide et sa petite lampe, de prime abord, elle héla un maitre d'hôtel qui, de prime abord, ne reconnut pas une de ses meilleures mais plus exigeantes clientes.
Le maitre d'hôtel affichait cet air impassible de celui qui a tout fait, tout vu de par le monde.
La tete du vieux singe à qui, on ne la fait plus.
Pourtant, après un temps d'arrêt, il lui tendit la carte.
Elle regarda la carte, s'attarda une bonne demi-heure sur l'ensemble des menus proposés, s'attarda tellement sur chaque détail ou particularités qu'elle avait l'impression de découvrir à chaque fois des continents vierges, de nouvelles terres à explorer.
Tout cela tournait à l'introspection.
tout ça mettait un temps infini à etre décrypté, analysé, mais rien ne se passait.
Aucune décision n'était prise.
Le temps, le temps passait lui aussi si vite, et le maitre d'hôtel impatient, désabusé qu'elle n’ait pas trouvé matière à satisfaire ses appétits lui proposa le plat le plus compliqué du jour.
Elle s'en contenta mais fut dégoutée par un sorbet à gout d'huitre qui soit disant : "complétait avantageusement le repas".
A la fin de ce repas, interrompant sa méditation un message texto l'invitait à défendre son point de vue dans le cadre d' une conférence contre les mines anti-personnel au Kenya.
L'alliance conjuguée de son prestige , de sa silhouette, de sa féminité permit au public d'adhérer sans effort à son discours un peu vide.
Coquilles vides.
Ces phrases ressemblaient à des slogans.
Elle se tenait debout devant son public, un peu raide devant son micro et ponctuait son discours de petits gestes qui ressemblaient à des idéogrammes japonais.
A la fin de son discours, les flashes électroniques crépitèrent et fixèrent son image.
D'ailleurs, comme une image, elle se tenait lointaine, inaccessible.
Interrogeons-nous à présent sur les origines sociales de cette femme imaginaire.
Disons qu'elle n'avait jamais eu le souci de gagner sa vie et si nous avions regardé avec attention ses mains, nous aurions vu ça : son épiderme était lisse et sans cal.
Elle devait donc etre bien née, sans souci matériel.
Fille, héritière d'un métallier, d'un industriel du rideau métallique ou de l'armement.
Toutes les suppositions peuvent etre émises sur son cas.
Un journal poussiéreux que j'ai trouvé récemment m'a informé de ses origines: elle était née à Tourcoing en 1971.
Tourcoing : 92 000 habitants mais à l'époque où elle était née il devait y avoir dans les 70000.
Tourcoing fut célèbre jadis pour son essor florissant pendant la révolution industrielle et pour ses filatures.
Tourcoing, ville au relief essentiellement plat, c'est là, au Bord de la Deule, que justement que son père monta une petite aciérie qui fut bientot très grande.
Il fabriqua, fabriquait comme je le supposais d'après ma première enquete les premiers rideaux métalliques dont il avait déposé très tot un brevet international qui aiguisa longtemps les appétits mais aussi les jalousies des groupes Krupp, et Thyssen.
Rideaux, jalousies.
N'y voyez aucun jeu de ma part.
Cette femme qui aimait donc le métal, les rideaux métalliques et les carosseries flamboyantes des spyders avait donc ses raisons...
( à suivre).