lundi 9 octobre 2017

2000, LES HOTESSES

L’hôtesse lisait un magazine froissé, assise dans son lit. La porte de la salle de bain était entrouverte, de même que les fenêtres. Elle entendit la sirène d'une ambulance et les bruits de la circulation intermittente, le souffle régulier de l'air conditionné, comme un ronron poussif et entêtant. -Tu as fait ta valise ? demanda sa collègue, une jeune femme aux yeux en amande filiforme aux longues jambes. - J'ai acheté des tonnes de souvenirs - A quelle heure est prévu l'embarquement passager ? - 8 heures 30 trente - Ma valise est quasiment vide - Qu'est ce que tu as ? - Rien. Les deux collègues s'étaient bêtement querellées la veille pour une histoire de lit. Eurydice avait choisi le lit deux place, tandis que Lucie avait du se contenter du lit une place. - Moi, je sais. - Tu sais quoi ? - tu es encore empêtrée dans une de tes histoires sans queue-ni-tete. - C'est un commandant de bord d'Alitalia, on se voit comme ça. - C'est toi qui a mis ce parfum ? - Oui, c'est moi,si ça te dérange c'est trop tard. Alors, Eurydice tira d'un coup sur le rideau et le soleil pénétra violemment par les fenetres de la chambre d'hotel. C'était une lumière solaire (...)

vendredi 29 septembre 2017

2000, LE PILOTE

Le pilote se réveilla, ouvrit les yeux. Sa chambre d'hôtel ressemblait à une chambre d'hôtel comme les autres. Un galon rose courait sur un aplat beige. Cette couleur et ce rose un peu pale permettait l'intimité et toutes les projections N'importe quel client pouvait son univers personnel. Il était encore plongé dans ses rêves. Il se situait encore hors du temps entre le jour et la nuit. Il était serein et souleva le rideau pour découvrir depuis son point de vue, ce coin d'avenue qui lui était si familier puisqu'il effectuait deux fois par semaine en Concorde la liaison Paris-New York. Il resta immobile, et contempla sa serviette marron posée sur le bord d'une espèce de bureau. Il ouvrit un peu plus les yeux et découvrit l'heure sur un radio-réveil qui clignotait. Il s'assit et regarda la lumière qui se glissait sous ces rideaux. Ça allait être une belle journée. Il entendit la rumeur sourde de la ville, masse sonore confuse dans laquelle perçaient par alternance les klaxons des taxis. Il avait déjà déterminé dès la veille sur un paper-board tout son plan de vol destiné à économiser les distances et le carburant, et à assurer le maximum de sécurité aux passagers. Il disposait de deux longues check-list : l'une était titrée : "SECOURS", l'autre "URGENCE". Il avait même prévu des points de chute au milieu de l'océan : il y avait deux aéroports : celui des Acores et celui de Madère. Dans ce métier, il fallait tout prévoir, même l'imprévisible.

mardi 1 août 2017

1977, LE CIEL BLEU DE l'ENFANCE. NEAR ZERO GROWTH

Le paysage de mon enfance, ce n'était pas exactement la ville mais c'était les pistes d'aéroport. Des zones périphériques situées entre deux ou tronçons d'autoroute et des champs d'herbe rase à moitié pelés qui semblaient pousser entre deux ou trois étendues de goudron et les taxiways. Visitant Roissy, Je les sentais, je les devinais, je les imaginais immenses, signalées illuminées et clignotantes, prêtes à se déployer devant moi,parées pour le mariage inconnu de la terre et du ciel. A mes yeux, elles paraissaient gigantesques, hors d'atteinte physique,non juste captives de mon regard derrière les grillages qui s'étendaient sur des kilomètres... Bien sur, aujourd'hui encore Le bruit sourd du roulage puis du décollage du Concorde font partie des images sonores les plus significatives. Enfant, cette boucle sonore m'enthousiasmait infiniment. Comme une musique entêtante,lancinante, elle était porteuse de rêves et d'imaginaire. Chuintement, grondement sourd, devenu soudainement plus régulier, puis le roulis des pneus jusqu'au décollage. Derrière mes paupières closes, j'imaginais tout un monde... J'étais là, juste présent et absent au monde, je flottais à 16000 ou 18000 mètres, au milieu des nuages bien au dessus de la plaque émaillée de l'Océan Atlantique, j'entendais le bruit régulier des 4 moteurs RollsRoyce Snecma Olympus qui absorbaient des quantités astronomiques de carburant. J'imaginais les gestes des pilotes et du mécanicien, le travail du pilote automatique. A l'extérieur clignotaient aussi les trois phares rouges anti-collisions qui étaient exactement situés entre l'aile et le fuselage, puis un autre à l'arrière. D'ailleurs, face à mes insistances, mon père m'avait construit une maquette de papier-avec ce fameux nez incliné, ces ailes delta- que je manipulais avec souplesse, décrivant des courbes, des arabesques restituant toujours avec ma bouche avec la plus grande exactitude le bruit significatif du vol supersonique ...

mardi 2 mai 2017

2017, HUELVA

Aux abords de l'autoroute, on apercevait des triangles: c'étaient les champs recouverts de bâches plastiques d'un blanc opaque.. On aurait dit des champs des neige , des tas qui ne fondraient jamais sous le soleil. Derrière le rail de sécurité, une femme d'age incertain avançait. Son visage était ravagé par l'alcool et son regard vitreux cherchait à deviner l'entrée du champs où poussaient des fraises calibrées de la taille à la couleur qui étaient accumulées par palette entières sur des remorques de camion, puis stockées vers des chambres froides. Alentours, on entendait différentes langues de L'est : le roumain, le polonais, le hongrois.... ( A suivre)

samedi 10 décembre 2016

"Ce n'est pas un hasard si l'écran est blanc. Comme le linge de Véronique. ca garde la trace, quelques traces du monde" Pourquoi seuls les artistes laissent des traces de leur passage sur terre ?

vendredi 25 novembre 2016

ALBACETE 1937,Extrait de la lettre de la philosophe Simone Weil, qui s'est engagée aux côtés des républicains, à Georges Bernanos

On part en volontaire, avec des idées de sacrifice, et on tombe dans une guerre qui ressemble à une guerre de mercenaires, avec beaucoup de cruautés en plus et le sens des égards dus à l'ennemi en moins. Je pourrais prolonger indéfiniment de telles réflexions, mais il faut se limiter. Depuis que j'ai été en Espagne, que j'entends, que je lis toutes sortes de considérations sur l'Espagne, je ne puis citer personne, hors vous seul, qui, à ma connaissance, ait baigné dans l'atmosphère de la guerre espagnole et y ait résisté. Vous êtes royaliste, disciple de Drumont - que m'importe? Vous m'êtes plus proche, sans comparaison, que mes camarades des milices d'Aragon - ces camarades que, pourtant, j'aimais. Ce que vous dites du nationalisme, de la guerre, de la politique extérieure française après la guerre m'est également allé au cœur. J'avais dix ans lors du traité de Versailles. Jusque-là j'avais été patriote avec toute l'exaltation des enfants en période de guerre. La volonté d'humilier l'ennemi vaincu, qui déborda partout à ce moment (et dans les années qui suivirent) d'une manière si répugnante, me guérit une fois pour toutes de ce patriotisme naïf. »

mardi 1 novembre 2016

SEVILLE, MARS 1969.

C'est une photo surexposée, voilée qui a quasiment viré au blanc, mais qui laisse encore entrevoir les visages de quatre jeunes femmes qui se tiennent adossées au mur du temps. Ce n'est pas une grande assemblée ni une grande célébration, juste un événement comme un autre. Elles ont les cheveux longs et des yeux de biche ourlés de khôl noir. Leurs robes uniformes coupées sans grande fantaisie sont vertigineusement fixées au dessus du genou. Elle sourient à peine au photographe : sont-elles timorées, gênées ? L'une regarde hors champs, une seule regarde l'objectif avec fixité. Deux tiennent des bouquets de fleurs dans leur main. Les bouquets sont emballés dans de l'aluminium. Elles les portent contre elle comme si elles tenaient déjà un nourrisson. L'une est la reine et l'autre sa dauphine Derrière La Reine est tendu un décor, le décor d'une époque habitée par les fantômes et les duègnes s'effrite lentement. Elles viennent de franchir le mur du temps.