vendredi 25 novembre 2016

ALBACETE 1937,Extrait de la lettre de la philosophe Simone Weil, qui s'est engagée aux côtés des républicains, à Georges Bernanos

On part en volontaire, avec des idées de sacrifice, et on tombe dans une guerre qui ressemble à une guerre de mercenaires, avec beaucoup de cruautés en plus et le sens des égards dus à l'ennemi en moins. Je pourrais prolonger indéfiniment de telles réflexions, mais il faut se limiter. Depuis que j'ai été en Espagne, que j'entends, que je lis toutes sortes de considérations sur l'Espagne, je ne puis citer personne, hors vous seul, qui, à ma connaissance, ait baigné dans l'atmosphère de la guerre espagnole et y ait résisté. Vous êtes royaliste, disciple de Drumont - que m'importe? Vous m'êtes plus proche, sans comparaison, que mes camarades des milices d'Aragon - ces camarades que, pourtant, j'aimais. Ce que vous dites du nationalisme, de la guerre, de la politique extérieure française après la guerre m'est également allé au cœur. J'avais dix ans lors du traité de Versailles. Jusque-là j'avais été patriote avec toute l'exaltation des enfants en période de guerre. La volonté d'humilier l'ennemi vaincu, qui déborda partout à ce moment (et dans les années qui suivirent) d'une manière si répugnante, me guérit une fois pour toutes de ce patriotisme naïf. »

mardi 1 novembre 2016

SEVILLE, MARS 1969.

C'est une photo surexposée, voilée qui a quasiment viré au blanc, mais qui laisse encore entrevoir les visages de quatre jeunes femmes qui se tiennent adossées au mur du temps. Ce n'est pas une grande assemblée ni une grande célébration, juste un événement comme un autre. Elles ont les cheveux longs et des yeux de biche ourlés de khôl noir. Leurs robes uniformes coupées sans grande fantaisie sont vertigineusement fixées au dessus du genou. Elle sourient à peine au photographe : sont-elles timorées, gênées ? L'une regarde hors champs, une seule regarde l'objectif avec fixité. Deux tiennent des bouquets de fleurs dans leur main. Les bouquets sont emballés dans de l'aluminium. Elles les portent contre elle comme si elles tenaient déjà un nourrisson. L'une est la reine et l'autre sa dauphine Derrière La Reine est tendu un décor, le décor d'une époque habitée par les fantômes et les duègnes s'effrite lentement. Elles viennent de franchir le mur du temps.