lundi 11 février 2008

HOTEL, de Jessica Hausner, 35 MM, COULEUR,82 mn, 2004, Autriche.

Thomas Bernard avait coutume de décrire dans ses diatribes la vie des grands hôtels viennois et des petites auberges insalubres du Waldviertel tenus par des alcooliques ou par des gens mielleux qui ont souvent fait le lit du nazisme.
Ancienne assistante de Michael Hanneke sur l’effroyable et un peu gratuit Funny Games, Jessica Hausner s’emploie aujourd’hui à décrire ce microcosme, cet univers si paisible en apparence tout en affleurant aux marges du fantastique.
Majestueux paradoxe.
Pourtant, analyser ce film c’est d’abord s’attarder sur les apparences et le décor et l’histoire qu’il campe : l’histoire d’une jeune hôtesse d’accueil qui surgit dans un hôtel perché sur un flanc de montagne, au moment même ou des enquêteurs recherche celle qui l’a précédée et qui a mystérieusement disparu : une certaine Eva Stein.
Il y a d’abord ces apparences mais c’est sans doute dans son invisible : présence d’un point de vue d’un intrus qui fait irruption, ouvre une brèche de manière subreptice dans la réalité diégétique : est ce seulement le regard du spectateur qui est partie prenante dans ce dispositif ?
J’ai pensé à deux choses en voyant ce film : ce film est une sorte de tableau abstrait, ou une métaphore du fondu au noir.
Apparition de la serveuse ouverture au noir. Disparition de la serveuse de son plan dimensionnel que renforcent la verticalité de ces étranges pins taillés tels des poteaux téléphoniques : fondu au noir.
La leçon de modernité donnée par ce film tient en trois points : Le choix du décor, la bande sonore, la mise en forme du récit par une raréfaction des points de vue dans une relative économie de moyen.
Le choix du décor : il s’agit d’un hôtel qui ressemble à tous les hôtels du monde, rien ne le distingue des autres, même fonctionnalité, même commodités mêmes couloirs, mêmes portes.
Depuis les années 30, qui conféraient au décor une place équivalente, pour ne pas dire supérieure à celles des comédiens, il est courant d’associer à l’hôtel une idée de cinéma, ou de théâtre (le passage et le flux des visiteurs entraînant nécessairement dialogues, dynamique et situation) et oser relever le défi de revivifier cette thématique demandait une certaine dose de perspicacité et d’invention.
En tout et pour tout dans le film, nous ne verrons qu’une cave et son long couloir éclairés au néon, un guichet d’accueil, un couloir de passage à la gauche duquel s’impose une fenêtre qui donne sur une piscine, une chambre, une discothèque, une piste de danse et quelques extérieurs.
L’espace semble avoir été vidé de tout élément superfétatoire : peu de tableaux, peu de tapis, peu d’accessoires, pour céder la place à l’installation d’une émotion : un parfum d’étrange et de fantastique qui n’est pas sans rappeler le travail de Jacques Tourneur, même si ici d’étranges plans d’inserts rendent ce récit incongrus, et confinent ce film à une forme d’abstraction et interroge les signes de la modernité : nature morte d’un stylo bille sur un calepin, interrupteur, signaux, quand Tourneur, lui faisait appel aux ressources du hors champ pour terrifier le spectateur.
Une parfaite unité de lieu où se noue une sorte de faux drame dont nous semblons être les protagonistes.
La bande sonore intègre des dialogues plats et factuels qui rendent compte des échanges entre la direction et le personnel mais leurs tons et lenteurs factices, neutralité influent sur notre perception du récit fictionnel, ou du moins confèrent eux aussi l’ensemble des images à une forme d’ abstraction.
Comme une forme de récit qui semble parfois post-synchronisé, comme si la bande son ne collait pas exactement avec la réalité des images, et en faisait mentir l’aspect documentaire ou plutôt faussement réaliste.
De même, on entendra les tonitruances d’une sirène, les grésillements inquiétants ou plutôt les crachouillis d’un haut-parleur défaillant, accolés à des pans de musique techno, et techno folklorique ou aux pulsations d’une soufflerie.
Cette construction sonore, cette partition, ou les dialogues semblent être réduits à leur stricte fonctionnalité : aspect d’information : « Bienvenue à l’hôtel des pins », « Plaintes et jérémiades pour un vol d’un petit bijou entre des employés, organisation d’une fête aux jeux de lumière automatisés à destination de retraités, où s’affirme la mécanicité » humaine » des technologies suscite en nous un profond trouble, comme un renversement de l’ordre établi, tel le triomphe des objets sur l’animé et le vivant.
La raréfaction des points de vue contribue aussi au climat d’angoisse généré par ce film.
Que voyons-nous constamment à l’écran ? Que peut-on en déduire ?
Il s’agit peu ou prou d’une présentation sur l’écran de la longue journée d’une jeune serveuse aux gestes raides, tandis que sa silhouette gracile s’inscrit continûment, journellement, dans le point de mire des perspectives infinies des couloirs qu’elle arpente ou dans laquelle elle s’ancre.
Dans le cours de l’action, Il y a bien sûr quelques rencontres de poids : celle avec son ami, celle avec sa jeune collègue de boulot, et les discussions qui se tissent avec sa patronne et le patron, mais l’ensemble des points de vue du film semble se focaliser autour et depuis le regard de la jeune femme jouée par Franziska Weisse.
Cependant, il arrive qu’un point de vue extérieur à ce point de vue, à cette circularité générés par cette unité de lieu et cette focalisation sur le personnage principal, sur son regard qui semble souvent se, nous promener tel un hamster dans sa roue, répétant les mêmes gestes, les mêmes activités nous éclaire et nous entraîne aux lisières du fantastique.
Nous avons vu cette première approche de l’analyse, mais une problématique ou un questionnement plus complexe semble lui être sous-jacente, c’est la manière dont la sexualité est évoquée ou suggérée au spectateur.
Nous avons d’abord des plans de nudité vus de dos, plan à la fois voyeurs mais en fait aussi furtif que pudique sur la jeune fille qui se déshabille,puis, qui nage en déployant toute son énergie, mais c’est un champ contrechamp qui nous éclaire sur les visées de la réalisatrice.
Champ- contre-plongée : La jeune femme vêtue d’une croix et d’une chemise bleue bien repassée, jeune fille parangon de la bonne petite catholique qui porte d’ailleurs sa petite croix autour de son cou, et contrechamp, on voit sa main qui consulte un prospectus montrant une fameuse grotte, célèbre grotte des environs dont, nous spectateur nous ne percevons que la stricte béance, une sorte de trou noir, évocateur d’une autre béance…
L’effet et l’association de ces deux plans est aussi simple que saisissant, et bien plus subtil que la scène de caresses intimes dans l’automobile, entre le jeune homme conduisant et son amie qu’il doit ramener à son hôtel.
Néanmoins elle érotise, dynamise un récit en lui apportant un peu de piment.
Après tout, c’est le bois dont le spectateur se chauffe.
Ce champs contrechamps annonce la visite de la grotte, dans laquelle la jeune fille s’infiltrera au point de disparaître temporairement de l’écran, et surtout la scène finale qui verra cette jeune fille disparaître littéralement et physiquement de l’écran se confondant avec l’alignement des pins éclairés de manière blafarde, industrielle, et sinistre.
Surprise de taille.
Nous comprendrons par un échange qui paraît être la duplication de la scène d’exposition que la jeune fille qui possède la même morphologie et sensiblement les mêmes traits n’est autre que la réplique exacte de celle qui vient de disparaître.
Répétition du parangon.
La boucle est bouclée.
Seule ponctuation, ironique à ce récit cette petite musique guillerette nous détache de ce cauchemar où pourtant, rien ne s’est vraiment passé ni d’horrifiant ou de ténébreux.
C’est bien à nos sens, à notre cerveau reptilien, et notre goût de l’angoisse, à nos peurs primaires que la réalisatrice a fait appel plus qu’à d’autres artifices.
Toutefois, la réalisatrice s’est brillamment affranchie des contraintes qu’elles s’étaient posées et a réalisé un film singulier, intriguant et dérangeant parce qu’il suscite autant de répulsions que d’attirance : fascination pour ce décor qui s’apparente à un archétype d’hôtel, avec ces longs couloirs, ces escaliers, ces lumières artificielles et réflexion sur le cinéma quand il prend pour objet de filmage cette figure humaine menacée de dissolution, d’absorption.

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