mardi 28 avril 2015

CEZANNE ET SON CABANON

Dans cette carrière à proximité d'un barrage, entre deux immenses parois de pierre s'élève un cabanon. Ses proportions sont modestes en comparaison du paysage : pans d'énormes roches taillées qui l'encadrent et le cernent. Ces masses qui le surplombent ressemblent à la fidèle photographie du dégorgement d'une roche volcanique. Coulées ramassées en de gros mamelons. Parfois alentours, ces mamelons se transforment en gouffres qui se creusent eux-aussi sous terre; alors ces gouffres se déploient et ressemblent alors à des membranes qui auraient emmagasiné toute l'eau de pluie. Ventres. Cavités. Béances. Lumière. Eau troubles, agitées et limoneuses... Le jour, du lointain, d'un autre point de vue ou vu d'oiseau, c'est à peine si on distingue ce cabanon entre les pins et les carrières, carrières dont les tailles ouvragées ont formé de larges et beaux rectangles, triangles, diadèmes arrangés; figures, géométries qui se font et se défont, et semblent alternativement osciller, balancer au soleil. Leurs contours disparaissent ou s'effacent sous la lumière. Le cabanon lui, à l'air d'un vieux escargot racorni. A bien le considérer, il parait ainsi avoir été parachuté dans ce nulle-part, au milieu de ce champs de pierre. En effet, partout, alentours se dressent des milliers de pierre. Des tracés de pierre. Des carreaux de pierre. Ici, tout n'est que grille, rectitude, rayures et pierres rayées. Tout n'est grille, rayures et entremêlement de trames et de rayures. Parfois, au milieu d'un front de taille, vague trapèze se dresse dans l'air une improbable colonne de pierre. Ce cabanon le disais-je frappe par la modestie de ses proportions : peut-être mesure t-il deux mètres de hauteur? peut-être mesure-il quinze mètres carré tout au plus? Sur un de ses cotés, on y distingue le dessin d'une porte qui ressemble à s'y méprendre à la porte d'entrée de l'atelier des Lauves. C'est la même porte, comme la décalque exacte de toute les portes de la Ville, traversée par le cours Mirabeau et l'Avenue Napoléon. Elle ressemble à toutes les portes des demeures de cette grande ville, sauf qu'elle n'est pas affublée d'une tête de Lion. Elle marque un seuil définitif comme toutes les portes de la grande ville comme les visages des passants qui dévisagent le peintre qui apparait à leurs yeux comme un traînard échappé d'un asile. Ce cabanon a l'allure d'un pachyderme qui aurait définitivement posé ses pattes, plein de lassitude. Pourtant c'est un abri qui se fond dans le paysage, qui se confond avec lui, qui s'oublie, qui se fait oublier comme le peintre. On peut imaginer qu'il a toujours été là au milieu de cette carrière. Sans doute faut-il imaginer à l'intérieur au delà des marches, aussi un coin repos, , un coin travail, un coin repas et ça et là traînant dans un coin une boite d'aquarelle et deux ou trois toiles enduites de blanc d'Espagne pliées en 4 ou brutalisées. Pour le coin toilette, il y a le dehors... Ce cabanon aux vieux airs tranquilles de mammifère ou de conifère abrite le peintre qui dort, somnole, rêvasse : la journée a été longue et quand de nouveau encore et encore le jour apparaîtra, quand les premières lumières illumineront la carrière et feront saillir ces formes, ces géométries sans cesse renouvelées. il devra être bien présent là pour restituer toute cette gamme harmonique des ocres, et la vigueur de contrastes... Jaune. Bleus. Rouge. Marrons. Devant cette porte, sur un plateau trône un bol taché de couleurs qui semble avoir été posé à l'intention de quelqu'un Jamais, on ne verra le peintre, car cette heure le peintre dort ou pense, Jamais vous ne verrez l'intérieur du cabanon. Sans doute, le peintre caché à l'intérieur est -il couché, occupé à ruminer sa journée ? Aujourd'hui, une seule fois vers les 7 heures, il a ouvert la porte, il s'est soudainement dressé, il a tendu son regard, il s'est levé sous cette douche de lumière, , et il est demeuré debout là de longues heures durant, totalement, insensible, impénétrable aux bruits alentours, engourdi par la chaleur montante... Hier, il vous aurait fallu un certain temps pour apercevoir sa silhouette immobile sous la lumière. Avant hier, du coté de Gardanne, vous l'auriez vu ronflant couché sur la paille d'une grange. C'est un être qui ne se laisse pas approcher, ni encore moins accommoder Il est toujours sensiblement vêtu du même manteau, du même gilet, du même veston gris ou marron. Ses vêtements tachés et sont empreints d'une poussière qui sent la craie et la terre. Ses mains aussi sont sales et ses ongles bien noirs. Son regard noir vous toise, mais il n'est pas sans malice. Pari, fou, avec un ami géologue, qui connait toutes les périodes et la fin des rois vivants au crétacé, il voudrait comprendre la constitution de l'univers, il voudrait tout connaitre, connaitre tous les atomes de cet univers qu'il appréhende un peu mieux chaque jour. L'autre lui raconte tout ça avec une tonne de gestes au Café La semaine dernière à 15 kilomètres de là, sur la route sinueuse de T, il a vu lentement, très lentement, dévaler sans bruit un énorme pan de roche rougeâtre comme de la lave, qui a roulé, roulé, effleurant la masse ocre, rampant, rampant encore, puis coulant brusquement à pic dans le vide ou dans les broussailles... Quel spectacle que cette montagne jamais immobile et sans cesse en mouvement ! Spectacle sans cesse renouvelé comme un ressort, comme une mécanique. ressort de l'âme qui ramène chaque jour le peintre à son adolescence et à ses pins parasols 1858.Te souviens-tu du pin qui, sur le bord de l'Arc planté, avançait sa tête chevelue sur le gouffre qui s'étendait à ses pieds ? Ce pin qui protégeait nos corps par son feuillage de l'ardeur du soleil, ah puissent les dieux le préserver de l'atteinte funeste de la hache du bucheron ! Maxime sans cesse répétée. Baignades. Excursions. Souvenirs entêtants. Soudainement, vers les six heures du soir, coup de feu ou feu follet, aux sourcils broussailleux, le peintre est ressorti; silhouette fuyante et il a sans cesse cherché quelque chose, quelque point d'accroche dans cet enchevêtrement de pierres et de pins sa lumière intérieure. C'est le silence qui lui tend les bras. C'est le vide de la création. Cet espace à la fois, proche et lointain. Inaccessible et tangible. Cet espace dans lequel il se fraye un chemin du regard, c'est le retour impossible qui va trouver son chemin empesé, ferme et structuré sur la toile. La lumière tombe lentement sur la carrière qui forme désormais un labyrinthe face à la montagne: autels dérisoires, tumulus dressés, creux, pleins et ses vides; échafaudage de lumière et de poussière, éclats de terre et de pins. Eclats de vie dans le maquis. Le peintre n'entend pas le bruit de l'eau, si son clapotis, ni son glouglou. Son corps ne vibre plus, ne vibre plus qu'à l'unisson de la lumière et de sa lente dégradation, déclinaison. Il regarde le ciel. inlassablement,Le peintre pense à trois ou quatre silhouettes noires fuyantes devant la montagne qui domine la Vallée. Tout à coup, lentement, mais surement, dans le jour déclinant apparaît donc cette masse calcaire qui n'est ni grise, ni blanche, mais bleu avec des reflets sanglants comme la vie.

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