lundi 21 janvier 2008

DER BRÄUTIGAM, DIE KOMÖDIANTIN UND DER ZUHÄLTER (Le fiancé, la comédienne et le maquereau) — 1968 — STRAUB-HUILLET-NB 35MM, 23mn

Souvent, les films des Straub rendent hommage à Renoir, de manière consciente ou inconsciente.
Il n’est qu’à se souvenir des paroles de Danièle Huillet qui évoquaient Le testament du docteur Cordelier ou bien Le caporal épinglé pour y chercher peut-être quelque éclairage ou éclaircissement sur leur méthode ou leurs sources d’inspiration.
Curieusement, ce court-métrage, signait aussi l’adieu des cinéastes à la terre allemande.
Pourtant, il renoue par la simplicité de son dispositif avec le cinéma de Renoir et des cinéastes primitifs qui le précédèrent : Griffith, Lumière, Stroheim.
Attardons nous de plus près sur la séquence d’ouverture : il s'agit d’un long travelling latéral
Tournée de nuit; balayage d’une zone interdite, une sorte de bas fond ou des prostituées travaillent.
C’est un long travelling tourné à la limite de la visibilité le long de cette rue jalonnée des prostituées de la Landbergstrasse, à Munich.
On peut ici éventuellement songer à la "Nuit du Carrefour", film de Renoir qui frayait lui aussi son chemin dans la nuit noire à la limite de la visibilité jouant avec l’imaginaire du spectateur, bercé par le ronron d’un moteur.
Mais nous ne souhaitons pas prolonger plus longtemps cette comparaison entre ces deux cinéastes.
Pourtant, à bien des égards ce long travelling muet est très
émouvant : il s’agit à première vue de la vision entraperçue de berlines effilées aux fenêtres opaques ou aveugles, sans leur conducteur arrêtés au passage ou debout, statiques, dans leur imperméable entraperçus de dos, mais tout demeure dans un espace de suggestion...
Comme toujours, chez ces cinéastes,il y a là une volonté de mise à nu, de dévoilement d’un non lieu, de parias d’une zone occultée et de certaines inégalités ; enjeux que ce court-métrage soulève.
D’autre part le propos, le motif général de ce court-métrage rejoint cette considération sociale et politique : chez les Straub, le désordre des comportements résulterait des contradictions d’un système social et il leur importe donc de montrer à la fois la cause et l’effet.
C’est le cas dans ce court-métrage.
Brusquement, après ces travellings latéraux, succède un plan fixe présentant d’une scène de théâtre simulant un artefact d’appartement composé de deux portes, une disposée frontalement, l’autre côté jardin, et flanquée sur ses murs de citations peintes à la main.
Sur la scène, les comédiens de l’Antitheater jouent une version accélérée du Mal de la jeunesse de Bruckner, datée de 1926 avec une rare économie de moyens.
La mise en scène proposée semble viser, avec ces effets d’accélération, peut-être à la construction d’une crise, d’un conflit entre un texte tel qu’il devrait être joué selon des critères académiques, et sa mise à plat autrement dit sa littéralité.
L’effet est étrange, et tout n’est alors que succession de gestes rapides, très rapides d’ouvertures et de fermetures de portes, de postures théâtrales, d’arrêt brusque comme un travail de freinage sur la parole et le jeu.
A la vision, on a l’impression d’assister à une mise en scène ou plutôt à une mise en lumière d’archétypes théâtraux, comportementaux, de conflits, de dialogues, de personnages.
Plus tard, le jeu se compliquera, l'action se compliqueront.
Alors on assistera comme une sorte de jeu d’emboîtement d’une réalité au profit d’une autre, à une sorte de basculement des acteurs vers la réalité diégétique, puisque une course poursuite ancrée dans la monumentalité d’un décor figuré par les piles écrasantes d’un pont, verra ces acteurs présents dans la pièce jouée et interprétée, émerger de nouveau dans la réalité tout en mouvement du film qui semble avoir repris ses droits et ses règles codes relevant d’ailleurs du film policier : voici une poursuite avec ses codes de la poursuite, sa proie et ses assaillants, un décor angoissant.
L’impression qui se dégage de cet emboîtement singulier demeure comme une mise en exergue les codes et les conventions, comme une translation déstabilisante pour le spectateur d’un registre vers l’autre. Le cinéma n’est-il pas l’art de ménager les surprises.
Nous noterons aussi ce tableau composé de quatre personnages avec une judicieuse utilisation du son capté dans l’espace hermétique et glaciale d’un temple ou d’une église aux murs très épais qui confère à la parole du prêtre ou du pasteur, une forme de gravité pondérée par les souvenirs de la pièce de Bruckner qui cristallisait ses attaques contre le mariage et son idéalisation.
Enfin, bouclant la boucle, comme une sorte de résolution des conflits préliminaires, le maquereau joué par un Fassbinder très jeune est abattu soudainement d’un coup de révolver par Hanna Shygula tandis que la caméra se détachant de son plan de gravité émotionnelle et physique, s’avance vers lui puis s’élève pour capter l’émotion générée par un vent qui fait frissonner les feuilles d’un peuplier.
Ce film nous réveille et met en lumière les contradictions, les marges de la société allemande en refondation après lère Adenauer mais la leçon pourrait aussi bien s’étendre à l’Europe tout entière surtout à cette époque.
Enfin, il dénonce avec vigueur et non sans un certain humour les faux-semblants du mariage tant dans ses aspects contractuels que quotidiens, en s’emparant d’un grand texte historique éclairé par une histoire sombre et dramatique celle qui oppose un souteneur et sa prostituée.

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