samedi 8 mai 2010

l'HOMME AU PLATEAU

Fabrice vêtu d'un anorak molletonné trop grand pour lui, dépassa un petit groupe de personnes qui marchait rapidement.
Depuis les différentes artères de la ville, d'autres groupes convergeaient puis se
se succédaient par petits chapelets qui disparaissaient en ayant entrouvert une énorme porte à deux battants.
De manière continue, à l’heure du coup de feu, une foule pressée se dirigeait donc vers celle-ci.
Quand Fabrice surgit inopinément et bloqua le passage.
Des gens commencèrent à râler ; Fabrice se tenait devant l'entrée de manière à bloquer toute entrée de visiteurs.
Son front était balayé d'une mèche laquelle balayait elle aussi la moitié d'un œil qu’une bouche soufflante soulevait par intermittences, comme une sorte d’essuie-glace.
Fabrice avait le visage un peu rond, son teint était rouge, son ventre proéminent et gras tombant un peu de son pantalon à cotes de velours.
Cette mise lui conférait l'allure d'un clown et il les regardait avec un air béat, avec ses yeux : deux immenses billes noires plongées dans la liquidité d'une nuit intérieure.
On lui dit de se pousser à plusieurs reprises mais il ne bougeait pas et restait immobile devant les portes vitrées du restaurant d’entreprise, la mâchoire fermée, toujours un peu raide, tenant son plateau repas vide sur son ventre.
Le plateau alimentaire était en plastique et ressemblait à du faux bois.
Depuis le cadre d'une toute petite fenêtre la tête d'une femme se dressa et l'interpella.
- C'est quoi tout ce chambardement, vous ne pouvez pas laisser les employés tranquille? Qu'est ce que vous voulez au juste?
Fabrice ne lui répondit pas et baissa la tête.
"- Qu'est ce que vous voulez ?" répéta, la voix de la femme venue du dessus.
Fabrice la regarda fixement.
Il se tenait là tenant toujours fermement son plateau alimentaire contre son plexus solaire, là devant la dalle de béton depuis onze heures du matin.
On l'entendit bientôt qui hurlait, hurlait encore.
Sa requête paraissait un peu floue.
Au regard de la foule qui se rassembla bientôt autour de lui, il apparut comme un intrus, ou un empêcheur de tourner en rond.
Un homme, puis un autre braquèrent leurs poings sur lui mais comme si une sorte de halo magnétique l’avait protégé; Fabrice échappa, esquiva et repoussa les coups.
Alors derrière lui sortit la dame aux cheveux frisés qui l'avait interpellé et qui poussa la porte très fort, si fort que Fabrice céda un peu du terrain.
Bientôt la porte s'entrouvrit et la dame aux cheveux frisés glissa son long cou comme une girafe.
- Qu'est ce que vous voulez au juste...? redit la Dame.
- C'est ma carte.
- Quelle carte ?
- Ma carte magnétique, elle ne marche plus ou alors elle a été démagnétisée.
Et là, il lui expliqua longuement qu'il avait été autrefois salarié de la SNCF qui offrait à chacun de ses employés le repas de midi- comme dans toute administration française.
La carte avait longtemps servi de précieux sésame.
Inexplicablement, la carte bien qu'ayant dépassé sa date de péremption - ce qu'attestait une date à moitié effacée- avait aussi longtemps délivré à Fabrice son plat du midi jusqu'au jour où....
Ainsi brusquement licencié, on avait naturellement procédé aux mesures d'annulation de son badge magnétique qui autrefois lui donnait droit de passer le portique verrouillé électroniquement, pour aller déjeuner bien tranquillement dans l'immense restaurant de la Société nationale de Chemin de fer, sous la verrière qui dispensait une tiède chaleur qui rayonnait jusque sur le ventre des employés.
Après des tractations compliquées, où l'on envisagea dans un premier d'appeler la police pour évacuer l'importun ou régler définitivement le différent entre un ancien employé et son administration.
Fabrice lâcha bientôt prise et tint son plateau d’une main molle, pendant bientôt le long de son flanc droit.
Apaisé, ayant enfin exprimé toute sa colère, il devint très placide.
Inéluctablement, les regards de la médiatrice et de Fabrice se croisèrent, et insensiblement, sans bruit, tous les deux tombèrent amoureux l’un de l’autre.
Quoi qu’il en soit, même si Fabrice n’obtint jamais gain de cause, il parvint néanmoins à une chose essentielle : il avait trouvé l’amour dans des circonstances uniques exceptionnelles et la dame aux cheveux frisés qui parlait uniquement à sa plante verte elle aussi.
Voila donc une fable qui finit bien.

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