lundi 26 mai 2008

LOULOU (1980), 35 MM COUL de Maurice Pialat. 150 mn.

Etrangement ce film ressemble à un de ses premiers courts-métrages daté de 1960, court-métrage titré : « L’amour existe ».
Un beau titre trompeur et fallacieux.
Tourné en pellicule noir et blanc, à Courbevoie, Suresnes, Pantin, Vincennes, Orly, L’amour existe filmait, montrait les banlieues de la région parisienne au début des années soixante, faisant remonter par nappes la nostalgie de l’enfance, les images du passé, mais aussi et surtout le vide de la vie quotidienne, le ronron.
Ce film s’achevant sur des grands ensembles en construction du côté d’Orly, laissait le spectateur figé, pétrifié, muet sur son fauteuil, presque sans espoir de sortie.
Vingt ans plus tard, c’est la même ligne directrice, le même sentiment d’inéluctable et de vacuité, la même volonté de filmer la ville et la banlieue, que Pialat met en lumière, met en scène, souligne avec une sorte de délectation étrange et morbide ; sentiment pondéré par un humour acide et aigre jeté sur une tragi-comédie tissée entre trois personnages.
Commençant par un extérieur nuit dans des tons bleutés montrant un personnage secondaire, une femme brune longiligne et mystérieuse aux cheveux longs, marchant dans la nuit sous les arcatures d’un pont (petite comptable qui, comme elle dit si bien « se fait chier dans la vie », comptable dont on apprendra tout par la suite du tempérament fougueux et électrique) puis s’en détournant par un subtil panoramique, qui montre Loulou joué par Gérard Depardieu marchant dans le noir dédale d’une cour intérieure d’un vieil immeuble vermoulu,
Inspiré par une histoire vraie qui donne corps et vérité à une facticité aux accents faussement naturalistes, ce film raconte la dérive amoureuse d’une jeune femme nommée Nelly jouée par Isabelle Huppert qui s’ennuie avec un mari un peu veule mais honnête et mature, joué par Guy Marchand qui, comme le dirait la maxime voudrait son bonheur et lui a livré une « cage dorée » dans laquelle elle s’ennuie.
Dans un bal populaire, elle rencontre un loulou de banlieue qui l’assaille sous les yeux même de ce mari qui se défend, proteste puis abandonne la partie après l’avoir giflée et sermonnée avec beaucoup de maladresse.
Dans la chaleur de cette nuit, sur l’air de Célimène, ses sentiments pour cet « affreux jojo » au grand cœur se révèlent aussitôt et l’entraînent à découcher.
Bien sûr son mari toujours aussi maladroit tente de la réconquérir, mais finit par l’humilier.
Plus que cette anecdote qui pourrait appartenir à la trame d’ un film de Duvivier célébrant les amours et les bagarres d’un jeune MATAMORE portant un blouson de cuir, célébrant les écartèlements suscités par un trio amoureux, peut-être faut-il y voir une peinture de corps et de figures disposées dans des espaces clos dans des chambres un peu vides, une peinture des émotions par nature éphémères et fugaces, volatiles comme de l’essence, mais une peinture formée de taches, de corps et de figures sans cesse en mouvement.
Un mouvement d’une pièce à une autre, d’un bar à un autre d’une rue à une autre, ou rarement voire jamais le ciel n’apparaît dans notre champ de vision.
Difficile d’identifier et de situer les lieux de tournages et d’action, tant celle-ci semble se limiter à des lieux ou à des rues souvent dans le flou.
Un film circulaire, fureteur en plan rapproché.
A cet égard, ces incessants panoramiques qui balayent l’espace cherchant la possible apparition d’un corps ou d’un visage dans le champ de la caméra atteste de cette volonté de capter dans les moindres recoins, jusque dans leur regard, leur silence évocateur, la vie en cours des personnages, leurs incertitudes, leurs grandeurs, leurs petites misères.
Pourtant cette autopsie d’un échec est jalonnée de pépites : l’humour tinté de misogynie mais raillant tout autant la masculinité grossière, inachevée, pour ne pas dire puérile de ce Loulou qui ignore ce qu’il veut faire de sa vie, qui se contente simplement de vivre en aspirant de grandes goulées d’air.
Pialat dans cette peinture acide des couples à la dérive n’épargne personne.
L’action de Loulou alternant les passages entre le bel appartement cossu mais désormais vide du mari trompé et l’hôtel puis le meublé, progresse plus par le jeu des sentiments et par les changements d’attitude de Nelly qui se lisent sans cesse sur son visage, dans son regard en constante évolution tel un paysage marin, que par l’action proprement dite qui est souvent stagnante, redondante.
Seule la séquence très émouvante de la petite fête chez mémère dans sa blouse bleue (qui paraît être sa mère adoptive) dans une sorte de guinguette exile le film dans un ailleurs, où il semble plus facile de couronner par deux lampées de martini le lien familial, l’amitié entre copains -eux aussi à la dérive, qu’un un amour fusionnel voué désormais à l’échec.
On dépanne les copains mais on assiste sidéré et insouciant à la faillite de ses amours, tel est Loulou.
Cependant là où l’amour existe, court-métrage aigre, nous faisait plonger dans une déprime sans fond, Loulou, magnifique film habité par la présence de deux très grands acteurs aux corps ronds, replets, charnus, nus, habité par leur chaleur fusionnelle nous laisse un sentiment d’espoir fondé sur le constat que ces deux-là malgré tout se sont aimés malgré tous leurs antagonismes, malgré leurs différence sociales.
Besoin d’aimer à tour prix et de transcender la vie.
Que faut-il choisir en fin de compte ?
La conformité d’une vie réglée comme un papier millimétré que l’on est libre de trouver ennuyeuse ou pas, ou une vie fondée sur de la rapine et une économie de la débrouille et l’assistance mutuelle de copains sortis de tôle.
A cette question, Pialat choisi de nous laisser dans l’incertitude, posant sa caméra entre ces deux points de vue, filmant frontalement Nelly racontant à Loulou au téléphone son avortement et annonçant par là la fin de son amour avec Loulou, montrant un frère bourgeoisement, théâtralement vêtu d’un petite gilet comme un banquier, qui apparaît dans leur meublé, et qui tente de faire revenir sa sœur vers le droit mais illusoire chemin des apparences ,des convenances, des conventions tout en renvoyant Loulou par ses questions incessantes à ses atermoiements, à ses absences de choix ; en un mot à toutes ses contradictions, insolubles contradictions.
Ainsi, le film fini comme il avait commencé dans une forme d’incertitude.

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