vendredi 30 mai 2008

LANCELOT DU LAC par ROBERT BRESSON, 67 mn, 1974

Regarder un film de Bresson, c’est observer chaque fois comme chez un peintre ou un musicien une invariance des thèmes, des thématiques, des personnages, et des rituels, de leurs rituels.
Importance primordiale des rituels chez Bresson.
Mais en même temps, dans ce film, on ne peut que s’émouvoir de sa capacité à convoquer, d’invoquer, scander, répercuter autant les lointains souvenirs d’une culture chrétienne immémoriale qui tombe rarement dans l’écueil de la bigoterie, tout en favorisant l’émergence de quelque émotion violente profonde, qui correspond aux ressenti intime et profond, pour ne pas dire convulsif d’un cinéaste qui sait peindre et montrer la passion.
L’histoire de lancelot du lac et la conquête du Graal.
Une histoire bien connue que tout un chacun porte en soi tout en l’ayant un peu oubliée.
Question de bataille et de conquêtes.
Conquérir son territoire.
Chaque bataille déchaîne sa violence.
D’emblée, ce sont des images qui frappent nos sens autant que les sons effleurent ou cinglent nos oreilles.
C’est une gerbe de sang qui coule bruyamment et à grands flots du tronçon sanguinolent d’un chevalier décapité, ou d’un torse encore engoncé dans sa dérisoire armure qui ne le protège finalement de rien.
Ce sont des promenades où l’on voit galoper dans une forêt des chevaux harnachés.
C’est la mise à sac d’un autel, de sa croix et de son ciboire organisée par une troupe d’officiers félons.
Rarement un film de Bresson n’a tiré sur la corde d’un spectaculaire aussi étrange que menaçant.
Plus tard, une musique martiale composée par Philippe Sarde organise, temporise et annonce le défilé des personnages, leur lutte pour le pouvoir et pour l’amour d’une certaine Guenièvre.
Plus tard, encore, un orage suivi d’une pluie torrentielle s’abat sur le campement des chevaliers, orage qui fait hennir de peur les chevaux qui pressentent son avancée.
Pour mieux appréhender ce film,Il faudrait peut-être porter d’abord l’accent sur les sons, la piste sonore, constituée de bruits d’improbables chevauchées, de ces hennissements nerveux, de bruits d’éperon sonnant contre le cuir des flancs des chevaux, de sonneries étranges scandant des entrées et des sorties de personnages qui ressemblent à s’y méprendre à nos buzzers, et aussi de paroles souvent lourdes de sous-entendu prononcées par des hommes qui bataillent dans leur lourde armure grinçante qui les entrave plus qu’autre chose.
Ensuite, il faudrait porter l’accent sur cette insistance de l’image et du cadre à montrer des corps souvent sans tête, corps enferrés dans leur action répétitive : monter à cheval, éperonner une cible, remonter à cheval, enfoncer l’épée dans son fourreau, s’habiller ou enfiler son armure.
Devant cette insistance, on pense à ce film de Len Lye qui montrait de manière répétitive le montage de carcasses automobiles.
Il faudrait aussi s’intéresser à ces duels à la lance entre deux fractions adverses dont on ne nous montre qu’une succession de lever de drapeau à droite puis à gauche, tantôt une rangée de spectateur, une simili barrière de bois tenue par une femme qui fait office de gardien de l’enceinte comme si un choix avait discriminé un ensemble et avait éludé l’inutile au profit du nécessaire et de son absolue invraisemblance.
Dans cette histoire d’amour courtois et de bataille, telle à son habitude, Bresson appréhende l’amour de manière aussi courtoise que frustrée.
Il est un contrechamp qui combine l’image d’un huis qui ne cesse de vibrer frénétiquement avec l’image de la promise dans son grand lit blanc.
Il est une chaste scène d’amour où un des chevaliers dont j’ai oublié le nom serre très fort la belle contre lui, l’étreint mais quand il veut la déshabiller, et la voir celle-ci inévitablement se rétracte.
Et oui, l’érotisme chez Bresson se niche peut-être ailleurs plutôt que dans cet inaccomplissement.
La forêt par exemple, avec la richesse de ses arbres et de leurs ramures offre un magnifique panorama que foulent au grand galop les chevaliers d’un autre temps.
Il semble que ce film possède la force et la résonance d’un grand tambour à la peau bien tendue qui fait sonner en nous l’émotion et ça suffit pour faire un film et nous tenir en haleine jusqu’au bout.

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