samedi 29 mars 2008

WEEK END de Jean Luc Godard . Un film Allégorie

Week-end est un film passionnant, grâce et malgré son morceau de bravoure : cet immense travelling long de trois cent mètres que décrivent à l’envi tous les théoriciens du cinéma et qui nous laisse un peu sur notre fin mais qui raconte si bien les aspirations folles d’une époque.
Week-end n’en est pas pour autant une œuvre achevée, quelque chose manque pour parachever l’ouvrage surtout vers la fin du récit où le spectateur semble dérouté à l’image de ce couple constitué, formé de l’éternel gueulard JEAN YANNE, bien à sa place dans ce récit et de la molle MIREILLE DARC qui erre sans but sur cette grande route aussi sinueuse qu’un récit de Lewis Caroll.
Pourtant, l’entrée en matière comme toujours, commence tambour battant et s’élance dégageant un flux d’émotions.
Week-end, comédie dramatique s’empare du mythe du couple petit bourgeois satisfait et repu, mais finalement frustré par trop de satisfactions et qui finit par compenser en prenant sa bagnole pour aller faire un tour à la campagne, histoire de meubler le temps et l’ennui.
Ils habitent dans une belle résidence neuve et pimpante, mais n’ont pas l’air très heureux.
Peut-être même qu’ils se trompent mutuellement.
Peut-être même sûrement, c’est ce dont témoigne le langage de charretier de Jean Yanne qui malmène au téléphone une de ses amantes qu’il traite de « chienne ».
Depuis la hauteur de son balcon, JEAN YANNE voit une scène d’algarade se dérouler devant lui ; des hommes sortis de leur bagnole en viennent aux mains pour des motifs qui lui échappe, et leur combat finement réglé, telle une belle chorégraphie de boxeurs, finit par l’énerver considérablement.
Voici l’incident déclencheur et cette rixe finit par exacerber chez lui toutes ses tendances agressives, lui le gueulard.
Il veut donc partir mais énervé par un gosse irascible déguisé en petit indien qui le harcèle. Il finit par emboutir l’autre bagnole du voisin, une minable dauphine possédée par une petite bourgeoise, comme lui.
JEAN YANNE finit par se dépêtrer avec les poings et sa faconde de cette histoire échappant au fusil du mari lui aussi irascible qui semble tirer au gros sel sur lui et sa femme précieuse un peu fade qui tient beaucoup à son sac à main, à ses toilettes de chez St laurent.
Portrait irréaliste, satirique d’une époque.
A la faveur d’une banale invitation chez une belle-mère, Ils se retrouvent précipités avec leur coupé Ford dans le chaos d’un week-end comme les autres, sur la route duquel des gens comme eux vont s’empêtrer dans un embouteillage ou pour certains plus malchanceux mourir contre un arbre, un de ces arbres qui jonchent ces routes étroites des années soixante dix.
Ils trouveront aussi des révolutionnaires avec leurs tracteurs.
Des scènes édifiantes et de l’émotion.
Comme aucun autre, Godard sait filmer une femme qui parle de sexe avec froideur, tristesse et détachement et jouer de la distance entre sa voix neutre, monocorde, mais non dépourvue d’émotions et les mots crus qu’elle va prononcer.
Le sexe chez Godard raconté, possède souvent un fond de mélancolie protestante et moraliste.
Procédé théâtral certes, mais tous les procédés sont bons pour mener à la conduite d’une récit, à sa dramatisation ; procédé d’une rare efficacité, et MIREILLE DARC, dans la pénombre d’une pièce, mise à nue de manière documentaire et vériste, jouant son propre rôle vaguement dénudée soutien-gorge apparent, cuisses nues se confiant à son improbable mari ( une sorte de confident que nous ne reverrons plus) malgré la dureté de son monologue emprunté à Georges Bataille obtient là un de ses meilleurs rôles.
Se confiant à ce qui paraît être son mari, elle semble à la fois tendue et fragile, vulnérable racontant une espèce d’improbable partouze dont les ramifications semblent aussi infinies que le nombre des protagonistes, les noms changent, les positions, et même les prénoms.
Mais que faisait-elle dans cette composition des corps.
Parfois_ et là Godard sait faire vibrer le corde sensible du spectateur,il couvre la parole de cette femme triste et ses souvenirs qui remontent en nappe par de la musique un peu lyrique, celle crée par Georges Duhamel ; l’ensemble fonctionne bien comme la plupart des bande-sons chez Godard et contribue aussi à une dramatisation du récit.
Il est intéressant d’établir ce parallèle.
Souvenons-nous douze ans plus tard, en 1979 dans le violent « Sauve qui peut la vie », qui sonnait comme une renaissance et qui fut un succès public.
Godard y racontait la vie d’une prostituée venue de sa campagne, interprétée par Isabelle Huppert lui fera dire des mots tout aussi crus et filmera sans ambages dans une chambre d’hôtel de Lausanne la chaîne du désir, montrant non sans un certain humour, l’absurdité d’un tel esprit de géométrie dirigée par un dirigeant de football vulgaire, égrillard.
Sans adhérer nécessairement à cette manière de montrer l’amour, mais sans juger non plus cette indépendance d’esprit,cette autonomie qui est la marque d’un artiste il est néanmoins des constances qui ne peuvent s’ignorer et qui contrecarrent frontalement, volontairement la grivoiserie, la complaisance de certains autres qu’ une certaine MIREILLE DARC avait justement habité et nourri de son enveloppe, de sa voix fade, mièvre et niaise.
Week-end avance sur l’écran comme une réflexion qui s’établirait de concert avec le spectateur : voici l’histoire, voici les protagonistes, voici le contexte, et puis voilà comment ça déraille, et comment une utopie foutraque et dangereuse comme toutes les utopies peut naître du chaos ou de l’humus ; une utopie qui tiendrait autant du croisement d’une relecture des textes révolutionnaires de Robespierre et des autres et de Père Ubu par sa grossièreté, sa crudité, sa violence sous-jacente.
Un autre motif énigmatique émaille et jalonne ce film, et finit même par nous étonner : que de voitures entassées, renversées comprimées les unes contre les autres.: ce film ressemble bientôt à une promenade le long d’une casse automobile, ou à une sorte d’exacerbation d’un fait sociologique :le terrible et banal accident de voiture. Mais peut-être nous faut-il aller plus loin dans notre analyse pour saisir un peu du mystère.
Si l’on comprend rapidement le motif des automobiles cabossées et plus tard brûlées qui jonchent cette route, il nous est plus difficile de saisir avec acuité et précision ce que leur répétition obsédante, leur accumulation, le long de cette route finit par imprimer au récit. Comme un effacement de leur présence à cause justement de leur omniprésence Bientôt ces signes postés presque à chaque coin des routes, les bornant finissent par oblitérer cette réalité ou sa représentation au point de nous troubler,de nous désarçonner.
Un récit ramené au point-mort.
Une faillite organisée de la représentation, et s’organisant sciemment contre elle et voilà un film qui semble partir en roue libre semant ses protagonistes et le spectateur dans une forêt digne d’un cauchemar.
Des archétypes malmenés, malaxés.
D’ailleurs la rencontre, les rencontres avec un certain Joseph Basalmo qui tend des pièges et sa compagne sous une pluie battante à l’orée de cette forêt puis avec une improbable Alice de Pacotille qui tente de renforcer la rationalité scientifique du récit rejoint cette perspective déroutante et absurde.
On dirait une sorte de guerre incompréhensible, sans avions ni blindés avec d’invisibles protagonistes qui se joue là sous nos yeux, tout le monde semble vouloir s’étriper mais leurs intentions, leurs motivations semblent indiscernables, ingouvernables.
Tout ce qui possédait une forme de cohérence la perd finalement au profit d’une sorte de phénomène de sidération pour des atrocités et des événements spectaculaires qui nous sont représentés ou qui se présentent devant nous avec la forme d’une épiphanie dont le sens ne nous est pas ou plus révélé par l’énonciation d’un récit.
Perte du sens ?
Evidemment pour parachever cette peinture digne d’un Jérome Bosch, quoi de mieux qu’un batteur perdu dans une nuée de fougères, une assemblée d’hystériques révolutionnaires chevelus, vêtus à la diable de roses, et un horrible, grotesque cuisinier cannibale teint de rouge avec son grotesque couteau qui cuit des côtelettes.
Mais toute utopie fut –elle dangereuse révèle aussi sa part d’idéalisme et de beauté, celle qui permet au réalisateur d’offrir à des paysans aux allures dignes et raides tout droit sortis d’un tableau de Le Nain, d’assister à un concert de Mozart didactique dans une cour de ferme cossue de l’ancienne seine et Oise.
Qu’est devenu au fil de ce récit, le couple petit bourgeois du début ? et bien comme dans un récit primitif qui peuple l’inconscient de chacun depuis la nuit des temps le mari a été mangé par sa femme consommée, absorbée par le groupe, laquelle a coiffé ses cheveux au carré d’un de ces bandeaux roses communs à tous ces révolutionnaires qui ont pour la plupart mal fini et qui pourtant lui demeure très seyant.
Triomphe des apparences sur l’utopie et interrogation sur un star system en déroute.
Sans être un film totalement achevé ni dominé(-mais au fond est-ce là le but ou l’objectif d’une œuvre d’art ? tout cela est discutable ), on dirait un film aventureux, pour ne pas dire erratique : certaines réflexions ou thématiques politiques semblent un peu poussives ou datées et ne possèdent pas la grâce poétique envolée de La Chinoise, certaines séquences un peu longuettes : scène des monologues entre arabes et noirs avec les sandwiches devant une benne à ordures où les mouches volètent…
Pourtant, Week-end vaut le détour et synthétise les aspirations de l’époque de Godard à vouloir changer la donne, à inventer, expérimenter sans cesse fut-ce au prix d’une incompréhension d’un public devenu aujourd’hui si paresseux et si veule au point de faire triompher des nullités sans nom.
D’ailleurs, au contraire de Week-end, leurs titres paraissent interchangeables.

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