mardi 1 janvier 2008

LE SONGE D’OBLOMOV ou autoportrait de mai à octobre de Siegfried Bréger, durée 53 mn.

Souvent, les vidéos de Siegfried Bréger entretiennent des crises : crise du montage qui ne répond pas aux règles académiques mais à un montage des attractions ; conflit entre le cinéma et la vidéo, conflit entre la narration et l’absence de récit, contraste enfin entre une bande son omniprésente et la fixité de ces plans appréhendés telles des peintures de paysage, paysages qui auraient été nettoyés de leur figures.
Pourtant, on n’a jamais vu un récit qui aspire autant au calme à une sorte de plénitude que le Songe d’Oblomov.
Ce film expérimental d’une durée de 53 mn a été inspiré par la lecture du livre éponyme de Gontcharov, écrivain russe né à
Simbirsk en 1812 qui racontait les difficultés d’un aristocrate oisif aux prises avec la réalité et s’en échappant par les ressources de son imaginaire.
Ce film concentre, catalyse différents type d’image : des images vidéos, plan fixe ou panoramique ainsi que des images super 8, des images photographiques qu’il met en relation de manière souple, organisée mais cependant qui laissent chacune au spectateur un large champs d’interprétation possible, une ouverture sur sa capacité à s’émouvoir, à tisser des relations inédites entre des images hétérogènes.
Dans ce film dense par le poids de ces images qui empruntent d’ailleurs à plusieurs registres de la création contemporaine, nous sommes frappés par les différents réseaux de stratifications offerts à notre vision.
Le premier pourrait être envisagé comme la proposition d’un récit vidéographique qui agence dans une sorte de bout à bout non dénué de construction et d’organicité. Bout à bout que pondèrent, rythment les apparitions d’une figure féminine qui va bercer le spectateur de son seul effet de présence, puis des plans de campagne dans lesquels évoluent et se déplacent des figures ou des protagonistes qui ne font que jouer leur propre rôle et ne disent aucun texte. Ce sont en fait, des figures qui rappellent quand elles sont en plan rapproché des souvenirs de tableaux inconnus, des souvenirs de film de John Ford quand en quelque secondes, l’on aperçoit la mélancolie qui jaillit de l’œil de l’héroïne dans la Chevauchée Fantastique, quand un vent soulève la poussière autour des figures perdues dans ce village transformé en no man’s land, des bribes d’un nouveau Tati sans gag.
Le second, pourrait être pensé comme une proposition de film aux ressorts expérimentaux qui agencent, entremêlent par des solutions formelles et non en terme de contenu des images vidéo avec des images super 8. La cohérence du récit s’échafaudant plus sur la possibilité d’établir des lignes de construction, de composition dans un récit reprenant avec des moyens multimédia, les essais de films du courant moderniste des années trente, pensons à Ruttman, Rythme 21 par exemple. Cet effort de tendre à anéantir la narration possible au profit d’une sorte de statisme d’immobilité rejoint sans doute, le troisième point de ma démonstration qui verrait dans Oblomov, comme une sorte de proposition pour une installation mettant en œuvre, en exergue, le temps et l’espace et les images.
C’est ce que je suis enclin à penser d’Oblomov. car, tout ce film pensé ou réalisé dans la droite ligne du Cendres réalisé en 2001, offre toujours une scission bi partite de l’écran, un jeu de lecture complexe entre des plans fixes, ou en mouvements filmés, soit en super 8, soit en vidéo DV. Ensuite, de par l’indéniable beauté de chacun des plans d’Oblomov incite à penser à envisager une probable réalisation spatiale, événementielle de type installation qui donnerait à voir au spectateur toute la singularité de chacune de ces images dans un déplacement, dans un mouvement virtuel et réel , dans le contexte d’une scénographie qui articulerait toutes ces images.
Finalement, Oblomov répond aux exigences modernes d’un récit filmique qui absorbe des données hétérogènes tout en assurant une cohérence visuelle, des lignes directrices fortes : primat du cinéma et de la vidéo, collage, assemblage plastique de fragments continus et discontinus tout en procurant à la bande sonore la vigueur, la brutalité de sa beauté primitive.
A cet égard, autant les prestations apaisées des acteurs, le souffle du vent omniprésent frissonnant, que la voix du réalisateur à peine déformée, laissent planer sur ce film un climat étrange et singulier qui rappelle la poétique intimiste et incongrue de ces réalisations précédentes comme « Advienne que pourra » réalisé en 2002 sous forme de DVDrom.
Regarder le songe d’Oblomov ce n’est pas seulement assister à un film mais c’est aussi en y réfléchissant bien une manière de considérer l’élaboration d’un film en voie d’assemblage, exposant chacune de ses parties et de ses éléments constituants se déposant graduellement devant le spectateur, dans le cadre d’un continuum. Oblomov c’est peut-être enfin la mise en exergue d’un processus de création qui viserait non pas à un film achevé mais à élaborer une vidéo comme une sorte de peinture éclatée en une sorte de dépôt successifs sous forme de taches, de figures, de textures, de couleurs et de sons sur un écran plasma.
C’est ce que semble révéler en dernier point la dernière maxime de l’artiste qui signera son œuvre tel un vieux peintre.


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