mercredi 20 janvier 2010

LE POETE A LA CHAMBRE HUMIDE

J’allais visiter un ami qui, à la suite d’une mésaventure ( mésaventure dont il était alors coutumier) fut obligé pour des raisons pécuniaires, obligé d’ habiter la plus minuscule des chambres, située au premier étage d’un vieil immeuble d’une petite rue grise.
Une rue assez moche et tout en pente.
Les proportions de cette chambre : elle était en effet plus longue que large, lui conféraient l’allure d’un wagon de chemin de fer tandis que si je me souviens bien une fenêtre tout en longueur lui donnait vaguement d’un vitrail d’église.
Quand il cuisinait des pates, la condensation s’accumulait partout à l’intérieur de cette chambre et traçait sur la vitre des gouttelettes qui formaient des espèces de constellation qui me laissaient reveur.
En face de cette chambre, sur le même palier, se trouvait une autre porte cadenassée à la diable avec deux clous et une sorte de crochet de tapissier.
Force était de constater que ce logement à vue d’œil, en toute logique sans qu’on puisse pourtant l’appréhender avec l' exactitude, la perfection d’un métreur ou d’un arpenteur, paraissait posséder les mêmes proportions...
Devant la porte de ce qui ressemblait à un de ces studios -reliquat d’une spéculation spatiale et immobilière- studio minuscule que des propriétaires avaient scindé, cloisonné sans génie, et avec même beaucoup d’imbécillité, trainait donc un homme fatigué, titubant, essouflé qui peinait à monter jusqu’au premier palier.
Pourtant, il n’avalait pas les marches, c’était plutôt le contraire.
Souvent, on l’entendait souffler et tousser à s’en déchirer la poitrine, puis il claquait définitivement la porte, ce qui faisait craqueler le lambris qui recouvrait l’intérieur de la cage d’escalier.
Nous n’étions pas surs de le revoir le lendemain, parfois il disparaissait pendant plus d’une semaine
A chacun de nos sorties après des discussions fiévreuses endiablées, nous regardions avec insistance cette porte hermétiquement close, espérant quelque événement et bientôt cette porte qui focalisait déjà toute notre attention, devint notre premier sujet de discussion.
Avec ce regard insistant et complaisant, comparable en quelque sorte à celui du badaud qui regarde des pompiers évoluer au dessus d’un toit qui flambe, nous restions
parfois des quart-d’-heures entier devant cette porte.
Toutes les hypothèses mêmes les plus invraisemblables furent évoquées et formulées.
Au fond, bien gré, mal gré, nous étions parvenus à ces conclusions :
Nous n’avions jamais compris pourquoi d’abord cet homme barbu à l’âge indéfinissable, une grosse tête vissée sur un corps qui le faisait ressembler à une quille, portait toujours le même pull de grosse laine et puis au fond qu’est ce qui le motivait à rester dans ce studio un peu minable : était-ce seulement ces conditions précaires ou bien s’acharnait-il à un ouvrage de grande importance.
Un jour, notre homme entrouvrit sa porte et nous découvrîmes alors son visage éberlué, puis un geste lent révéla le désordre de sa chambre ou trainaient au sol, des sacs plastiques, et des livres de poche, puis au fond, comme accolé à un mur croulant, un tabouret et une table formée de deux tréteaux.
Notre homme, cet homme s’était enfermé dans une chambre sale et lambrissée, chambre aussi étroite que sombre ; chambre très humide pour y écrire des poèmes.
Monceaux de poèmes rédigés sur des A4 qui jonchaient un bord de table formée de deux tréteaux
Nous le regardions de loin, nous cherchions à comprendre ou à lire la teneur exacte de ses poèmes à l’écriture aussi raide que tremblée : il était là, hirsute, raide, statique, ivre, toujours un peu ivre, la bouche noire, les lèvres humides, comme fixé lui-même à l’encadrement de l’unique porte de sa chambre, cherchant ses clefs dans ses poches puis reprenant le sac de ses courses.
Il jetait vers nous son regard éteint.
Zoum, alors même que nous l’observions, il avait déjà disparu derrière sa porte la poussant d’un coup de pied avec violence.
Notre homme était aussi très versatile : peut-en témoigner cette scène.
Le lendemain, la porte nous était de nouveau ouverte : nous le vîmes toujours au même endroit et il nous adressa d’une main leste et molle un vague bonsoir.
Il tourna la tête et nous fixa de son regard brumeux ; il paraissait ailleurs, l’œil rivé sur quelconque éther, celui ses poèmes ou de la bouteille de rhum qui devait accompagner ses « navigations »
Evidemment, sa posture de poète, le caractère versatile ou cyclothymique de ses actions nous intriguait, nous fascinait sans que nous sachions toujours exactement la facture, la qualité, la teneur de ces poèmes, ni même les mouvements de son âme qui pouvaient transparaître, ou apparaitre au détour des pages.
C’était un grand mystère.
Qu’est ce qu’il pouvait bien raconter cet homme là ?
Quelles étaient ces images qui chargeaient ce manuscrit ?
Etaient-elles chargées d’érotisme, incendiaires ou flamboyantes ?
Etaient-elles peuplées de femmes flamboyantes et idéales ou de bateaux affalés à des quais brumeux.
Notre imagination galopait et déployant aussi ces images ; plaines ou clairières foisonnantes.
Alors de notre part, toutes les supputations, les suppositions couraient, filaient sur cet homme au demeurant fort sympathique que nous ne manquions jamais de croiser mais dont nous ne pouvions estimer sa valeur en tant que poète, et c’était ça, qui nous importait, nous les importuns, savoir si nous avions croisé un nouveau Baudelaire.
Notre posture quant à elle était celle de juges ou de voisins curieux de connaître quelqu’un de nouveau, et qui plus est poète.
Qui était donc cet homme-là ?
Après tout, il était rare d’en rencontrer qui soit aussi modeste, discret et confiné à son monde à l’espace de sa chambre minuscule.
Non, à la vérité, il n’était pas très « spectaculaire » ce poète mais il était là perdu dans le couloir devant nous, les bras ballants, avec au bout des poings ces deux sacs plastiques ou à l’extrémité de sa paume droite des poèmes.
Pourtant, il était facile alors de se persuader que cet homme était tout sauf un usurpateur parce qu’il semblait très très assidu à sa tache.
Voilà, qui évidemment, évidemment ajoutait au panache et au mystère de l’homme.
Tous les jours, nous croisions donc un poète et je dois vous dire que ça nous enorgueillissait vraiment.
Rien que ça, rien que ce fait minuscule, cette preuve, nous laissait aussi très enthousiastes, admiratifs, galvanisés par la possibilité de rencontrer et de parler à un authentique poète parce que ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre un poète hein, dites-moi ?
Pourtant, un jour, armés de courage et décidâmes de parler plus franchement avec ce poète, d’ailleurs je ne sais plus si c’est moi ou un de nos amis qui osa lui parler de manière à la fois juste , diplomatique, débonnaire et franche : « Alors comme ça vos poèmes, vous allez nous les montrer un jour, parce qu’on vous voit écrire toute la journée, mais l’on ne sait toujours pas ce que vous écrivez, vous feriez mieux de nous les montrer franchement vos poèmes, alors si vous voulez, ne serait-ce qu’un instant nous montrer vos fameux poèmes, peut-être qu’on vous donnerait-on un avis, peut-être qu’on pourrait vous inviter à une de nos soirées, hein ?.
Quelle ne fut pas notre surprise de voir notre poète fier comme un bar-tabac, le buste raidi, fléchissant ces mollets, le visage plus rouge qu’à l’accoutumée nous tendre d’un air martial et quasiment théâtral ses manuscrits.
Nous fîmes abstraction du désordre, du capharnaüm ambiant, de l’odeur de beurre rance et de vieille sueur qui subsistaient dans ce studio pour lire enfin ses fameux poèmes et que vit-on- je vous le donne en mille ! - ces poèmes rédigés avec beaucoup de scrupule, rédigés à la main de cette écriture appliquée, raide et tremblée qui respectait scrupuleusement les marges, ressemblaient trop aux échafaudages de pensées incohérentes au chaos d’un adolescent qui cherche sa voie dans le tumulte de son imaginaire.
Tout n’était peuplé que de « corbeaux », chandeliers » « mélusine et « Forets mystérieuses.
Déçus, interdits, muets tenant ses feuilles qui reflétaient ce chaos, nous l’abandonnions et lui décidions de le rendre définitivement à sa solitude…
D’ailleurs, lui aussi, déçu, blessé, il ne nous adressa plus jamais la parole.
Plus jamais, nous ne le revîmes ce drôle de poète à la chambre humide.


JLC.

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