jeudi 14 janvier 2010

EAT LESS BIG PEOPLE

Elle s’appelait Nickie.
Elle était de taille moyenne, replète avec de tous petits pieds qui lui donnaient l’allure d’une figurine d’argile.
Blonde aux yeux verts, le regard lumineux, toujours vêtue de rose et de violet, ajustés de manière criarde ou outrancière : c’était une de ces jeunes femmes dont on ne sait jamais, quand elles marchent si elles sont grosses ou minces,
A Lynchburg, dans les longs couloirs de notre lycée, situé non loin des Montagnes Rocheuses, à quelque cinq cent kilomètres bien au nord de Los Angeles, nous la convoitions ardemment, tentant par tous les moyens d’obtenir quelque contact physique avec elle, déployant tous nos trésors d’amour et d’ingéniosité.
Tous, nous aimions la regarder filer droit devant nous et marcher lentement sur ses chaussures à hauts talons, poussant une porte puis l’autre avec cette lenteur stupide ,présomptueuse, très calculée ; tournant le buste puis la tête, jouant d’une rotation de l’épaule droite, suivi de la gauche , mouvement de la main, lenteur à laquelle seuls ces soupirants aurait conféré quelque qualité - les autres tenaient ça pour de l’arrogance mal placée et peut-être avaient-ils raison, mais nous à l’époque, à la fois naïfs et confits, nous nous inscrivions dans une contemplation niaise et doucereuse, une fascination qui tendait à de la sidération.
Nous aurait-elle regardés frontalement, se serait-elle retournée que la magie ou peut-être le charme en aurait été définitivement brisé.
Non.
Nous ne souhaitions pas ça, nous souhaitions qu'une chose : convoquer chaque jour à la meme heure cette apparition soudaine de cette figure dévoilée par la lumière.
Je ne sais plus si nous avions déjà entendu sa voix parce que tout ce que je vous raconte me parait à moi à la fois très nébuleux mais aussi proche du rêve éveillé.
C’était idiot et un peu « concon » mais nous souhaitions seulement être là bien présent, fixes, raides, immuables, comme l’horloge du couloir, spectateurs sidérés par son passage.
Ce n’est pas qu’elle faisait grand-chose de plus que les autres, qu’elle était mieux que les autres, mais c’est comme si elle maîtrisait déjà si parfaitement son image, comme si mue, en constante représentation, elle répétait déjà son rôle appris par cœur à la maison, perfectionné, poli comme un marbre ou la surface d’une médaille.
Dans nos souvenirs, son visage et surtout sa silhouette revêtaient les contours d’un rêve ; une sorte de petit cinéma que nous nous projetions à trois ou à quatre dans nos têtes, au fond de nos têtes après les cours, et dont nous reparlions le soir par téléphone, nous en ressassant les phases importantes, les climax comme après un film, on débat des intentions du scénariste ou du réalisateur.
A la vérité, je ne pense pas qu’elle ait été si insensible que ça à nos regards et nos petites attentions, et puis n’était ce pas à nous que son petit cinéma s’adressait ?, mais elle avait la tête ailleurs, la tête dans les étoiles, le regard lointain et distant, déjà ancrée dans sa vocation et pénétrée par elle, constamment en représentation, elle avait « placé ses antennes » ailleurs et convoitait une sorte de firmament, une personne susceptible de la propulser vers la lumière, une personne, sûrement un homme qui légitimerait son parcours et sa condition car au fond c’est ce qu’elle souhaitait le plus ardemment sortie de ce trou à rat nommé Lynchburg.
Elle était d’abord sortie avec un velu tout blanc, vaguement chanteur country , puis énorme paradoxe, avec un avocat corpulent assez sympathique qui l’avait emmené voir la baie de Nantucket, ce qui avait été dit-on - selon la rumeur qui a longtemps couru un assez long voyage, mais la liaison avait brusquement avorté.
« Réussir » elle n’avait que ce mot à la bouche.
I want a successful story; I want a successful Life répétait-elle à qui voulait l’entendre ou l’écoutait encore.
Pour ça, et à ces fins, elle aurait fait n’importe quoi, prenant exemple sur ces « Model Actress Whatever » lisant leurs témoignages, s’inspirant de leur destinée, de leur stratégie.
Ces femmes avaient la particularité de gagner Hollywood non pour y devenir actrices forcément mais pour y être connues, et elle voulait être connue, et elle le devint, mais peut-être pas de la manière dont elle l’aurait souhaité.
Nous n’avons pas le temps de nous appesantir sur tous les détails de cette histoire.
Finalement, tout ce parcours demanderait à être encore plus finement raconté, expliqué, explicité.
Mais c’est trop long et je ne pourrai plus vous tenir en haleine.
Le temps avait passé et nos vies avaient donc aussi « fatalement » changé.
Quinze ou vingt ans peut-être étaient passés.
J’avais trouvé un travail de réparateur de fibres optiques, puis je m’étais immédiatement marié et monté ma petite affaire consistant à recycler des semi-conducteurs que je récupérais sur de vieux ordinateurs.
Un jour, dans l’attente d’un match de basket,l'oeil rivé devant ma télévision, je m’affaissais telle à mon habitude sur mon canapé et pointant le doigt sur ma télécommande, quelle ne fut pas ma surprise de la reconnaître, mais oui pas de doute possible c’était elle et pas une autre : C’était Nickie, Nickie qui apparaissait en gros plan à la télévision, un peu plus grosse un peu vieillie, les traits affaissés, des rides marquées au coin des lèvres mais ayant conservé une bonne part de son charme et de ce qui nous avait longtemps sidéré.
Vêtue d’une robe à festons blancs moutonneux , une sorte de vieux-rose qui la faisait ressembler à la dame d’une carte à jouer, une longue robe taillée en dessous du genou, se détachant sur le feu d’une cheminée qui semblait tout droit sortie d’un décor de carton pâtes, portant aux doigts deux ou trois bagues serties de fausses émeraudes. On la voyait souvent en gros plan et en plan rapproché le visage recouvert d’une énorme couche de fond de teint qui,de sa voix douce et monocorde, vantait les mérites d’une célèbre pâtée pour chien de luxe, élevant avec la paume de sa main, avec beaucoup de conviction, une minuscule boite d’ d’aluminium avec une étiquette rose et rouge estampillée de faux or et articulant autant que faire ce peut les qualités primordiales de si cette extraordinaire pâtée pour chien de luxe.
« Beauté » la beauté des chiens huppés.
C’était à peu près le slogan si je me souviens bien.
Sur un fond bleu piscine, cernée par une ribambelle de chiens petits et grands, blancs et noirs, disposés comme dans une ronde, ils battaient de la queue de manière frénétique et s’agitaient autour d’elle qui énumérait bravement avec beaucoup de conviction ,de méticulosité, une sorte de crânerie ou d’arrogance, les ingrédients, nutriments et vitamines entrant dans la composition de cette extraordinaire pâtée qui valait quasiment le prix d’un Chambertin ou d’un Dom Pérignon, tandis que derrière elle s’affichait le célèbre logo rouge et blanc de « Beauté » la pâtée des chiens huppés.
Je crois que la publicité se concluait ainsi après sa prestation, Nickie désertait le cadre : et cédait immédiatement sa place à un équipage formé par un briard titubant sur ses pattes, comme un aveugle qui cherche son chemin au détour de la nuit, suivi d’un Yorkshire puis d’un dogue noir, célèbre autrefois pour ces aboiements dans Rawhide.
Tous trois se ruaient sur cette pâtée disposée sur une écuelle.
Je crois que c’est ainsi que s’achevait cette publicité.
Plus tard, j’ai appris par ma femme que Nickie s’était de nouveau mariée avec un chanteur de folk et qu’elle avait conclu par une croisière son énième mariage.

JLC.

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